Santé

Déconnexion : on a appris à (re)vivre sans smartphone

Bip. Un SMS. Bip bip. Instagram. Bip. 22 notifications non lues… Toute la journée, le balai des sollicitations empiète sur nos vies. Trop ? Dans la nouvelle saison de la série américaine « And Just Like That… », Charlotte, exaspérée, balance son smartphone dans un pichet de margarita… Et on la comprend. Bien qu’encore timide, le retour des téléphones « basiques » frémit : entre 2019 et 2020, les ventes ont doublé dans le monde, et aujourd’hui près d’un Français sur cinq (source Insee) utilise un « dumb phone » (téléphone idiot, par opposition au « smart » phone). Suis-je prête à les rejoindre ?

L’EUPHORIE DE LA NOSTALGIE

De Paris Hilton à Gisele Bündchen ou James Gandolfini, le téléphone à clapet reste l’accessoire cool des années 2000. Je choisis le Nokia 2660 Flip (79,99 €, Nokia/HMD Global). Simple, efficace, avec une radio et le jeu Snake que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître. 

Premier hic : changer de téléphone signifie qu’il faut copier manuellement tous mes contacts. Deuxième hic : sans clavier azerty ou emoji, chaque SMS est une galère. Mais la promesse du téléphone basique est séduisante : retrouver plus d’attention. Neurologue et coordinatrice d’« Humanité et numérique, les liaisons dangereuses » (éd. Apogée), Servane Mouton explique : « Le smartphone perturbe les capacités attentionnelles mais aussi la “vitesse de traitement” des tâches cognitives. Des études ont ainsi montré que la simple présence d’un smartphone à portée de main, même éteint, va perturber l’attention. C’est le phénomène de la “fuite de cerveau”, ou “brain drain”. Mais l’attention est multifactorielle et les perturbations d’attention peuvent aussi être induites indirectement par l’usage du smartphone, notamment via les troubles du sommeil et l’anxiété qu’il peut favoriser. » O.K., tout n’est pas la faute du smartphone, mais on lui doit quand même une concentration en miettes.

ORGANISER SA VIE À L’ANCIENNE

Les réflexes ont la vie dure, on avait oublié que sans appli météo il faut regarder le temps qu’il fait par la fenêtre. Car se passer de smartphone demande un peu d’équipement : agenda papier, carnet de notes, livres… L’occasion d’exhumer un vieil appareil photo et un iPod oubliés depuis 2013. Le vrai problème se pose pour le GPS. Notre cerveau rouillé peut-il arriver à bon port sans outil ? « Concernant les capacités cognitives déléguées à nos smartphones, comme le sens de l’orientation par exemple, chez les adultes, cela se réapprend probablement, indique Servane Mouton. Même si un outil a interféré pendant une période, à partir du moment où le cerveau a eu ces compétences-là, ce sera en grande partie réversible. Chez les enfants, c’est moins évident, car leur cerveau est encore en maturation jusqu’à 25 ans et traverse des périodes dites “critiques”, déterminées génétiquement, au cours desquelles une fonction sera acquise de façon optimale si les meilleures conditions sont réunies. Si on “rate” cette période, l’apprentissage sera possible, mais de manière moins performante. » Le plan papier, ce n’était pas si mal en fait…

SE RECENTRER

En temps normal, WhatsApp occupe une grande partie de notre attention, en moyenne 5 h 30 par mois (source Priori Data). Au bout de trois jours sans envoyer des mèmes à tout va, l’attention peut-elle se « reconstituer » ? « De manière empirique, il me semble que les effets négatifs du smartphone sont réversibles en quelques jours, quelques semaines au plus, si on arrive à un usage vraiment cadré, précise Servane Mouton. Cela dépend de la motivation, et il ne faut pas non plus y substituer son ordi ou sa tablette. »

S’INSPIRER DES AUTRES

En Angleterre, en 1811, une bande d’ouvriers, menée par Ned Ludd, détruit les machines qui les remplacent peu à peu dans les usines. Un premier exemple de lutte techno-critique appelée « luddisme », et dont l’idée essaime dans la génération Z. En 2020, l’Américaine Emma Lembke a lancé le Log Off Movement et, à New York, en 2021, deux ados, Logan Lane et Lola Shub, ont fondé le Luddite Club, un rendez-vous hebdo au parc, sans smartphone, avec d’autres jeunes pour lire ou discuter. En France, Laurène Le Gall a créé en 2022 « Et si tu posais ton tel ? », un podcast et un compte Instagram plein de conseils. Cette designer d’interface utilisateur explique : « La connexion est devenue notre mode par défaut. On fait des choix de volonté en se disant “je vais lire un livre” mais on ne se dit pas “je vais sur TikTok”, il s’agit de casser notre routine connectée. »

APPRIVOISER LE VIDE

Que faisions-nous avant de regarder deux heures de Reels, de TikTok ou de Vinted pour les plus accros ? « On a tendance à se “gaver” de propositions, pour ne pas réfléchir ou pour se distraire facilement, analyse Servane Mouton. Après ce remplissage permanent, il y a souvent une phase de vide, de mal-être, car quelque chose nous manque, mais ensuite on réapprend. Si on revient à un usage beaucoup plus maîtrisé, on trouve des espaces de liberté psychique. Cela peut être une renaissance. » Pour gérer ce nouveau vide, Laurène Le Gall a lancé les « Dimanches déconnectés », chaque premier dimanche du mois : « L’idée, c’est de préparer ce rituel. Est-ce qu’on passe ce jour sans réseaux sociaux ? Sans séries ? Sans écrans ? Il ne faut pas le voir comme une privation, mais comme un moment enthousiasmant. »

AMORTIR LES CHUTES

Passer au téléphone basique demande de l’anticipation : imprimer ses billets de train, vérifier avec sa banque que les validations de paiement se font bien par SMS et non via l’appli… Une logistique usante qui me fait parfois reprendre mon smartphone. Un échec. Laurène Le Gall tempère : « On reste bienveillant avec soi-même. Les notes, la météo, le GPS… Ce n’est pas là que l’on perd du temps. On conserve son smartphone en ne gardant qu’une seule appli de messagerie et en désinstallant tout ce qui est chronophage. En design, on appelle ça “ajouter de la friction”. Sur les applis de réseaux sociaux, la friction est réduite au maximum : nos identifiants sont enregistrés, nos abonnements et messageries sont réunis au même endroit… On peut aller sur les réseaux sociaux en passant par le navigateur. C’est embêtant, il faut taper son mot de passe à chaque fois mais, ainsi, on a une meilleure conscience de nos usages. »

Pour sauter le pas

IDENTIFIER SES BESOINS

Impossible de se passer de 4G ? De WhatsApp ? Il existe quelques modèles basiques capables d’avoir certaines fonctionnalités intelligentes, comme le Nokia 800 Tough et sa version simplifiée de WhatsApp et Google Maps, ou le Punkt MP02, qui cache la messagerie Signal et une bonne connexion 4G sous son design minimal.

AVOIR LES BONNES INFOS

Pour les anglophones, le forum Reddit est une mine de conseils, notamment le fil reddit.com/r/dumbphones. En français, le site dumbphone.net permet de s’y retrouver.

PENSER SECONDE MAIN

Pour acheter neuf, rien de plus simple, tous les magasins qui vendent de la téléphonie proposent des téléphones basiques. La bonne idée : choisir un téléphone reconditionné sur des sites comme Back Market ou Ecofone. Ou encore regarder sur Le Bon Coin.

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