Santé

Ensemble depuis des années et toujours frustrés au lit, comment en parler ?

Avec les années la routine s’installe, et avec elle, la frustration… Qu’elle soit émotionnelle ou sexuelle, elle peut paralyser totalement une relation, ou nous ronger de l’intérieur. Pourtant, pour ne pas dévaster l’autre, ne pas rompre l’équilibre amoureux ou pour ne pas être jugée d’éternelle insatisfaite par son partenaire, on n’ose pas l’évoquer. Car elles sont nombreuses ces femmes comme Mariella, 57 ans, ancienne médecin généraliste, à ne plus vouloir en parler alors même qu’elle « y pense tous les jours ». Une peine silencieuse qu’elle « traîne depuis quinze ans ». « J’ai compris avec le temps qu’il valait mieux que je garde pour moi mes déceptions, car mon mari, qui accepte rarement la critique, n’écoute pas mes remarques ou mes doléances sur notre vie de couple », regrette-elle.

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La retraitée, « lassée par une relation monacale et quasi platonique » ne se sent « pas du tout écoutée » par son « petit ami du lycée » devenu son conjoint. « Lorsqu’on s’est marié j’évoquais parfois le sujet, j’essayais de lui dire que je souhaitais être plus créatifs, plus dynamiques sexuellement… mais il avait toujours une excuse, les horaires au cabinet médical, les devoirs des enfants, les sorties au théâtre… » La dernière fois que Mariella a abordé le sujet « c’était il y a quelques années » et la rhétorique de son mari l’a amenée à jeter l’éponge définitivement. « Voyons, notre amour ne se limite pas au sexe non ? », lui avait gentiment rétorqué l’intéressé. 

La frustration, ce dilemme féminin

Si notre partenaire est indifférent à nos remarques ou irrité qu’on le fasse tomber de son piédestal d’amant parfait, sa réaction peut nous amener à ne plus du tout vouloir évoquer le sujet. Un dilemme que beaucoup de femmes rencontrent. Pour Marie-Line Urbain, sexothérapeute et conseillère conjugale à Levallois-Perret, ce comportement d’évitement est typique car « la sexualité des femmes est toujours taboue dans notre société ». « On nous a mis dans la tête que les hommes sont des demi-dieux qui savent forcément satisfaire leur conjointe, et que les femmes n’ont pas de sexualité propre ni de désir, et donc qu’elles n’ont pas besoin de plus. » Pourtant, nombreuses sont les épouses, amantes et compagnes qui ont déjà vécu l’ennui et la frustration. « Avant, c’était une problématique masculine. Mais aujourd’hui, en cabinet, je vois énormément de femmes qui sont frustrées et déçues dans leur couple », ajoute la psychothérapeute.

« Dans les couples de la vieille école, les femmes ont effectivement beaucoup de mal à exprimer leur frustration car elles craignent que leurs besoins soient perçus comme des reproches, constate Ghada Hatem, gynécologue et fondatrice de la Maisons des femmes à Saint-Denis. Aujourd’hui, j’ai l’impression que ça se démocratise un peu plus, les jeunes couples ont conscience qu’il faut être attentif aux besoins de l’autre », souligne, optimiste, celle qui a co-écrit l’ouvrage « Le sexe et l’amour dans la vraie vie » (éd. First, 2020).

Déculpabiliser la frustration

L’émancipation sexuelle et la révolution du plaisir féminin ont contribué à libérer la parole des femmes sur leur libido. Elles ont également mis en lumière que la frustration n’était pas réservée à une seule moitié de l’humanité. Et dans notre société où la « tyrannie du bonheur » s’accompagne d’une « tyrannie du plaisir », la frustration peut être extrêmement culpabilisante. En couple depuis 11 ans, Daphné et Marianne se sont installées « à la campagne avec deux huskies il y a quatre ans », un déménagement qui a précipité leur relation dans « une traversée du désert », selon la fleuriste. « Je vois qu’on est beaucoup moins intimes qu’avant, et qu’elle est plus affective et câline avec nos chiens, comme si c’était nos enfants, regrette la jeune femme de 31 ans. Je culpabilise et complexe beaucoup qu’on ait la trentaine mais qu’on ait une vie sexuelle et affective d’un couple d’octogénaires ».

« On nous bassine tellement sur la sexualité épanouie et que le sexe c’est le graal absolu, que la perte de désir et la frustration sont vues comme gênantes », avance Jüne Plã, illustratrice et autrice de « Jouissance Club  » (éd. Marabout, 2020), un ouvrage inspiré de son compte Instagram éponyme où elle déconstruit les présupposés sur les relations et distille des remarques sans tabou sur le sexe. « La frustration ne remet pas en cause notre relation ou l’attachement pour notre partenaire, poursuit-elle. Le plus difficile, c’est d’arriver à comprendre que c’est tout à fait naturel et normal, tous les couples la rencontrent. » 

« Parler de sexe comme on parle de cuisine »

Si la frustration est l’invitée inévitable du couple, il faut alors trouver des moyens pour aborder le sujet avec son partenaire et gérer les angoisses et anxiétés qu’elle charrie. « Il ne faut pas hésiter à parler tout de suite avec son partenaire de nos manques et de nos besoins, attendre c’est prendre le risque de s’embourber car l’autre va penser que la situation est satisfaisante pour les deux », ajoute Jüne Plã. Bien sûr, avouer un manque physique ou affectif, c’est courir le risque d’heurter l’égo de notre moitié. Mais ne pas avoir évoqué pendant des années une frustration aussi vieille que la relation peut être vu par notre partenaire comme un mensonge, voire comme une trahison. Alors comment lui dire que ses baisers baveux tirés de son adolescence ne nous ont jamais émoustillée ? Quid de ses mains, si frustrantes, ne caressant que trop rarement certaines parties de notre corps ? 

« Il faudrait parler de sexe comme on parle de cuisine, évoquer sa perte de désir et sa frustration c’est absolument normal, sourit Jüne Plã. Ce dont on manque le plus aujourd’hui, c’est la communication – et aussi la créativité parfois ! » Dépasser ses préjugés et ses barrières psychologiques permet d’en parler mais ne nous assure pas forcément que notre partenaire sera ouvert à nos remarques sur notre vie sexuelle commune. « En consultation, je vois vraiment beaucoup de couples en décalage total, constate Virginie Ferrara, psychanalyste à Paris. La femme se sent incomprise, déçue et frustrée sexuellement mais surtout affectivement, et son conjoint presque hermétique à la situation n’écoute même plus ses doléances, car il a préféré mettre les problèmes sous le tapis et pense que le conflit est résolu. » 

De la communication et des petites attentions 

Pour désamorcer un conflit larvé depuis des années, la psychanalyste rappelle : « Il y a toujours une personne qui a besoin d’exprimer ses sentiments et émotions, mais souvent l’autre n’est pas habituée à en parler, ce manque d’intelligence émotionnelle peut vraiment aggraver les soucis dans le couple. » Pour pallier les difficultés à communiquer Virginie Ferrara conseille « d’éviter les reproches, les accusations, les injonctions du type “tu ne fais jamais’’, mais aussi éviter de parler à la place de l’autre “il n’y a jamais rien qui va pour toi”, et simplement parler avec le pronom “je” pour exprimer son ressenti personnel ». 

Renouer la complicité passe aussi par des temps de discussions et d’échanges sincères avec son conjoint, ou devant un spécialiste. « Je conseille de se fixer une demie heure, par exemple le week-end, uniquement tous les deux, pour se parler simplement, recommande la psychanalyste. Bien sûr, il faut que les deux partenaires soient d’accord pour discuter et non pas forcés d’y participer », ce qui serait contre-productif. Afin d’avoir un dialogue apaisé et dénué de reproches piquées au vif, Virginie Ferrara suggère de « préparer par écrit durant la semaine, une liste des points négatifs mais aussi des points positifs du couple que l’on voudrait aborder. »

Pour Daphné, la jeune fleuriste, « des séances régulières chez une sexothérapeute, des rendez-vous amoureux surprises et des gestes romantiques à l’impromptu comme un nouveau livre laissé sur l’oreiller ou une pâtisserie cachée dans mon sac à main », lui permettent de « ré-enchanter le quotidien et raviver progressivement la flamme » avec sa compagne. Des petites attentions, alternatives un peu plus créatives que la culotte à froufrous, permettent aux couples qui se connaissent depuis très longtemps de se sortir du tourbillon de la routine et de la frustration. « Le dialogue, le dialogue, le dialogue ! C’est la base dans toute relation ! », scande avec malice Jüne Plã, l’autrice de « Jouissance Club ». Profitons-en alors pour évoquer avec notre compagnon ou nos amants, nos déceptions mais aussi des pistes d’amélioration.

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