Santé

Faire l’amour pour dire « merci » : le poids de la dette sexuelle

Le meilleur moyen de définir le concept de dette sexuelle reste de l’illustrer, et ce ne sont pas les exemples qui manquent. Prenez deux personnes qui matchent sur Tinder et se rencardent au restaurant. L’une règle l’addition, et l’autre pense alors – dans les filets de son inconscient – qu’un rapport sexuel doit s’ensuivre. Un rapport sexuel pour remercier, un rapport sexuel tel une redevance, un rapport sexuel « parce que ça se fait ».

« C’est une sorte d’échange économique, explique la sexologue Margaux Terrou, qui précise que la dette sexuelle, soit le fait de se sentir redevable d’une quelconque activité sexuelle sous prétexte que l’on a reçu un cadeau ou un service, est un phénomène intériorisé dont la plupart d’entre nous n’ont pas conscience. » En effet, sur le terrain de nos rencards, ou de notre couple de longue date, il est rare que la dette sexuelle apparaisse clairement à nos esprits. Le raccourci (caricatural) du « il a sorti les poubelles, je vais lui faire une fellation » n’est pas formulé ainsi ; si c’était le cas, nous ne nous serions jamais endettées. Bonne nouvelle alors : en découvrant cette notion, on peut éveiller notre conscience à son égard et ne plus tomber dans son piège pour, in fine, redécouvrir la liberté de faire l’amour quand ça nous chante.

D’où vient l’idée de « payer en nature » ?

La dette sexuelle sous-entend généralement rapport sexuel, mais comme le précise la sexologue, « un simple bisou peut être de l’ordre de la dette sexuelle », dès lors qu’il est octroyé après avoir reçu un cadeau, et ce, dans l’objectif de remercier celle ou celui qui en est à l’origine. La particularité de cette « dette » ? Si elle est dite sexuelle, c’est parce qu’elle s’exprime avec le corps, et sur le terrain du contact physique. Une façon de « payer en nature », pour reprendre cette expression de drague foireuse (et dérangeante) de nos années collège.

Mais pourquoi payer en nature ? « Nous avons été éduqués au « dis merci et embrasse ta tante », à chaque Noël, chaque anniversaire… », souligne la sexologue. Mais les codes de la politesse ne sont pas les seuls à expliquer la dette sexuelle. « Dans le porno, le plombier passe, et puisqu’il répare votre évier, vous lui touchez les fesses », ajoute la spécialiste. De là, on comprend que la dette sexuelle répond aux scripts sexuels des relations hétérosexuelles : les hommes sont galants et serviables, et puisqu’ils aiment le sexe, ont besoin de sexe, les femmes les satisfont par ce biais.

Les femmes, plus endettées sexuellement ?

« Nous avons appris que le plaisir masculin était important, si bien qu’il se place au cœur des relations hétéro : un mec doit être sexuellement comblé et satisfait, et les femmes doivent participer à cela, preuve en est, le rapport se termine généralement quand l’homme a joui », rappelle et déplore Margaux Terrou. Résultat, on ne se pose plus la question de « comment remercier », puisque la réponse tombe sous le sens de nos schémas mentaux : en faisant l’amour, pardi. Le sexe apparaît comme un cadeau retour pratique ; on ne peut pas se tromper.

Ainsi, la dette sexuelle demeure une problématique genrée, qui incombe aux femmes. De quoi penser que les hommes y échappent ? Quand bien même ils ont été éduqués à régler la note, ils reçoivent parfois de tendres attentions. Seulement, eux, ne sentent pas obligés de rendre la monnaie de la pièce : « Pourquoi les femmes, après avoir reçu un cunnilingus, envisagent une fellation retour, là où un homme, à l’inverse, ne voit rien ? », interroge la sexologue. Ça s’explique : si les femmes ont intégré l’idée d’un plaisir masculin tout puissant, les hommes aussi. À noter, toutefois, que les hommes connaissent une autre forme de dette sexuelle : une dette envers leur genre, que l’on pourrait résumer par « tu es doté d’un pénis, sers-t’en ! » « Les hommes, généralement, se sentent tenus de faire l’amour pour prouver qu’ils sont forts », note la sexologue. De là, après une soirée au restaurant, une femme se retrouve à faire l’amour par dette, et l’homme par « démonstration », alors que finalement, les deux avaient peut-être envie de prendre leur temps.

Pourquoi et comment en finir avec la dette sexuelle ?

La dette sexuelle est-elle un problème ? Si elle nous conduit vers des rapports sexuels plaisants ? Et puis, pourquoi les fleurs ne seraient-elles pas un chouette prétexte pour faire l’amour, puisqu’après tout, on peut fondre d’amour et de plaisir face à des bégonias ? Selon la sexologue Margaux Terrou, faire l’amour par dette sexuelle ne paraît pas toujours un souci sur le papier, d’autant que « la frontière entre affection et redevabilité est fine et poreuse ». Cependant, si on cumule les « dettes rapports », on prend le risque de perturber son désir sexuel, de s’en déconnecter : « A force, on ne sait plus si on a vraiment envie de faire l’amour, car on ne fait que répondre à des actes », explique la sexologue.

« Pour y voir clair, j’invite à se poser la question suivante : aurais-je agi de la sorte s’il n’avait pas payé l’addition ? », propose la sexologue. En effet, notre désir aurait-il pu s’exprimer en dehors de ce restaurant ? Pas simple de répondre, puisqu’on ne peut nier qu’une belle soirée a le mérite de nous détendre, et qu’un corps détendu, c’est aussi un corps apte à ressentir du désir. Que faire, alors ? Essayer, peut-être, de différer nos « remerciements corporels » : un cadeau, un resto, des roses ? On se concentre à dire merci, et on reporte le sexe à plus tard. Pour que les fleurs existent sans nous, et que le sexe existe sans les fleurs. Ce que cela nous apportera ? La plausible opportunité de faire la différence entre rapports authentiques et rapports dictés par la dette – de quoi choisir son camp, et la fierté de participer, doucement, à la déconstruction de scripts sexuels tenaces qui nous éloignent de nos aspirations sexuelles.

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