Santé

Isabelle Siac, psychologue : « Les milieux du cinéma et du showbiz exacerbent l’hystérie »

ELLE. – Qu’est-ce que l’hystérie ? 

Isabelle Siac. – Un trouble psychique. L’hystérie, c’est la maladie du lien. Le lien est important, car l’homme est un animal social, et nous sommes tous plus ou moins hystériques. Mais lorsqu’une personne, homme ou femme, recherche trop l’approbation du désir de l’autre, elle finit par tordre sa personnalité à ce qu’elle imagine être ce désir et en souffre. L’hystérie se manifeste par des symptômes corporels mais sans cause organique apparente : des symptômes d’angoisse avec boule dans la gorge, mal au ventre, des crises de panique. Ils ont évolué avec le temps, car l’hystérie est une maladie très sensible à l’air du temps. Les grandes crises de catalepsie ou de paralysie observées par Charcot au XIXe siècle n’existent plus. En revanche, les services des urgences voient régulièrement débarquer des personnes avec tous les symptômes d’un AVC mais dont les examens se révèlent cependant parfaitement normaux. 

ELLE. – Pourquoi, traditionnellement, attribue-t-on ce trouble aux femmes ? 

I.S. – Dès l’Antiquité, les médecins étaient fascinés par les mystères de la reproduction et désireux de mettre les organes féminins sous contrôle. Ils ont attribué les symptômes des femmes tels que les spasmes ou les étouffements à l’utérus, qu’ils imaginaient comme un petit animal migrant à l’intérieur du corps féminin. Le remède préconisé par certains médecins était la grossesse, d’autres prétendaient qu’au contraire, la sexualité était nocive. Des élucubrations masculines, mais l’idée reçue que l’hystérie est essentiellement féminine est restée. Exemple : l’intervention télévisée de Gérald Darmanin conseillant une journaliste : « Calmez-vous, Madame, ça va bien se passer. » 

« Freud s’est montré très ambigu avec l’hystérie »

ELLE. – Peut-on dire que les premières martyres de l’hystérie sont les sorcières ? 

I.S. – Tout à fait. On parle toujours des sorcières, mais il y avait aussi des sorciers qui étaient brûlés. Des gens qui avaient une sensibilité supérieure à la moyenne, ce qui passait pour un don diabolique. Chez les sorcières, il y avait vraiment l’archétype de la femme économiquement autonome, célibataire ou ménopausée, qui pouvait donc avoir une sexualité hors de la procréation, ce qui était considéré comme dangereux. Après, au XVIIIe siècle, il y a eu ce qu’on a appelé les vaporeux et les vaporeuses, des hommes hypocondriaques et des femmes hyper émotives qui s’évanouissaient pour un rien. Ce que les gens de l’époque ont considéré comme un signe de féminisation de la société. La Révolution est venue y mettre un tour de vis patriarcal très violent. 

ELLE. – Le traitement d’un cas hystérique par Freud, celui d’Anna O., est lié à la naissance de la psychanalyse, écrivez-vous… 

I.S. – Freud s’est montré très ambigu avec l’hystérie. D’un côté, il est le premier à avoir voulu écouter les femmes et recueillir leurs paroles. De l’autre, il a vite rebroussé chemin et déclaré que tout ce que ses patientes dénonçaient comme abus, viols ou incestes, étaient en réalité pur fantasme. Il est en cela un vrai produit du patriarcat. Il savait très bien qu’il n’allait pas faire carrière en déclarant que les pères ou les frères de ses patientes étaient des violeurs. L’explication de l’hystérie est à l’origine de la psychanalyse et ce qui en fait aujourd’hui un peu sa perte.  

ELLE. – On continue d’ailleurs à mettre en doute la parole des femmes… 

I.S. – On a toujours l’idée que la parole féminine est louche, qu’elle sert à séduire ou à manipuler. Et je pense que c’est directement lié à l’hystérie. C’était très frappant pendant l’Inquisition dans les procès faits aux sorcières : on croyait toujours avoir affaire à des affabulatrices. C’est la même chose aujourd’hui. Amber Heard a été littéralement vouée aux gémonies du tribunal médiatique. C’est la sorcière moderne, condamnée à une mort sociale. On peut parler aussi de Nafissatou Diallo dans l’affaire DSK, présumée victime et présumée menteuse. 

ELLE. – Que vaut la formule de Lacan : l’hystérique, c’est une esclave qui cherche un maître pour régner ? 

I.S. – Encore une formule bien patriarcale. L’hystérique est une personne qui veut se faire aimer de manière maladroite. Elle est à la fois dans la séduction et dans la plainte. Elle est en manque chronique d’amour, et du coup, elle va chercher l’amour, non pas en existant ou en se prouvant des choses à elle-même, mais dans le regard de l’autre. 

« Marilyn Monroe aurait certainement très mal vécu le fait de vieillir »

ELLE. – L’ambiguïté, c’est qu’elle peut rechercher l’amour chez des personnes toxiques ? 

I.S. – Exactement. Le phénomène TikTok autour du film « Le consentement » est, à cet égard, très intéressant. Ces jeunes filles qui se filment avant et après avoir vu le film sont à la fois excitées et terrifiées par cette histoire vécue par une fille de quatorze ans sous l’emprise d’un homme de cinquante ans. Cela les fait fantasmer même si elles n’ont pas du tout envie que cela leur arrive dans la réalité. 

ELLE. – Vous citez le cas de Marylin. Et vous écrivez : « La réalité de Norma Jean Baker tient grâce au personnage de Marylin Monroe. Sans lui, elle est renvoyée au néant. » Le drame d’une hystérique ? 

I.S. – Avec la psychanalyse, elle est essayée d’aller creuser en elle-même, mais à l’intérieur, c’était le chaos. Ce qui la sauve, c’est l’image impeccable, parfaite qu’elle voit sur l’écran et qu’on lui renvoie. Elle a eu une histoire très chaotique, avec une mère schizophrène, un père qui ne l’a pas reconnue, elle a été violée à quinze ans. Elle est morte à 36 ans, mais, rattrapée par la réalité, elle aurait certainement très mal vécu le fait de vieillir.  

ELLE. – Comment soignerait-on Marylin aujourd’hui ? 

I.S. – Aujourd’hui, un thérapeute l’aiderait à se débrouiller au quotidien, à essayer de sortir de chez elle sans être ultra maquillée, à se protéger des paparazzis. Dans mon livre, je l’ai comparée à Bardot car, dans la série sur Netflix, on voit qu’elle ne parvient jamais à affronter la solitude. Marylin aussi, dès qu’elle était seule, était en panique totale. Bardot a pu trouver des hommes qui l’ont entourée, qui étaient là pour elle, et elle a eu la force de quitter le cinéma. Elle n’a pas non plus les mêmes origines sociales, ni la même famille que Marylin. Quelqu’un comme Marylin a clairement un trouble de la personnalité, et des conduites à risques, avec les médicaments, l’alcool, les hommes. Il y a une dépression très massive derrière tout cela. 

ELLE. – Les milieux du cinéma ou du showbiz exacerbent-ils l’hystérie ? 

I.S. – Oui, beaucoup. Dans un autre style, Marie-Antoinette aussi était constamment en représentation, et je ne pense pas que cela ait arrangé sa santé mentale. Lorsqu’on est tout le temps sous le regard d’autrui, il est difficile de rester soi-même et de ne pas virer girouette. 

ELLE. – Le terme d’hystérie est-il toujours employé en psychiatrie ? 

I.S. – Il a été retiré des classifications psychiatriques, même si les médecins continuent à employer ce terme. L’hystérie a été « grignotée » par le trouble borderline, les addictions, les troubles du comportement alimentaire. On parle aussi beaucoup d’hypersensibilité, mais on peut être hypersensible aux bruits, à l’environnement, sans être obligatoirement hystérique. Pour l’hystérie, on emploie aussi le terme de troubles somatoformes. 

ELLE. – Pourquoi faut-il en finir avec l’hystérie prétendument féminine ? 

I.S. – Selon moi, il y a vraiment un avant et un après la maîtrise de la procréation. L’hystérie pouvait, à l’extrême rigueur, se justifier tant que le corps des femmes ne leur appartenait pas vraiment. A partir du moment où la procréation est maîtrisée, il n’y a plus de raison de dire que les femmes sont malades de leur matrice. Et tout l’écosystème de la séduction où le corps féminin est mis en valeur pour que l’homme choisisse la meilleure candidate dans le but que l’espèce se reproduise au mieux, comme chez les animaux, n’a plus aucune pertinence.  

« On voit de plus en plus d’hommes hystériques »

ELLE. – Quel est le profil des hommes hystériques ? 

I.S. – Aujourd’hui, on voit de plus en plus d’hommes hystériques, mais comme le terme est associé aux femmes, ils le prennent comme quelque chose de péjoratif et en souffrent. On voit des hystériques chez les hommes très musclés, désireux de correspondre à l’injonction d’être fort et puissant. Ou chez certains hommes patraques, déprimés. Je pense que Michel Houellebecq doit être un grand hystérique. Il a un côté souffreteux, il aime se faire désirer et il est très obsédé par le sexe et la séduction. 

ELLE. – Quelles sont les causes de l’hystérie ? 

I.S. – Au départ, un manque. Pas forcément un abus sexuel, mais un manque de reconnaissance d’un des deux parents, doublé d’un manque de protection de l’autre parent qui laisse faire. Le psychanalyste Sándor Ferenczi, disciple de Freud, disait que ce qui fait trauma, c’est la solitude de l’enfant au moment où il vit un traumatisme. Car il est face à un mur et considère que c’est lui qui a tort. Et cette attitude est le terreau de la culpabilité et de la non-reconnaissance de soi. Ce qui fait trauma peut se transformer plus tard en hystérie, c’est-à-dire qu’on va rechercher chez les autres la reconnaissance qu’on n’a pas eue, enfant. 

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