Santé

Judith, 43 ans : « Je me sens coupable car ma mère ne sera jamais une grand-mère »

« Je n’avais pas encore douze ans que, à chaque repas de famille, je déclamais déjà haut et fort que, quand je serais grande, je n’aurais pas d’enfant, raconte Judith. À l’époque, personne, évidemment, ne me croyait et mes propos amusaient bien la galerie. Je me souviens que même ma mère en rigolait. Elle me disait qu’elle était, à mon âge, elle aussi persuadée de ne jamais vouloir porter la vie. Et, puis, elle avait croisé la route de papa. Après un long et difficile parcours de PMA (maman souffrait du syndrome des ovaires polykystiques ( SOPK) qui rendait une grossesse extrêmement compliquée), elle m’avait finalement eue et j’étais devenue tout ce qu’elle avait de plus précieux au monde. Le jour où je rencontrerais mon Prince charmant, elle était sûre que j’aurais, comme elle, envie d’enfanter ».

Une décision forte

Sauf que, trente ans plus tard, Judith n’a, contrairement aux pronostics de sa maman, pas changé d’avis. Elle s’en porte parfaitement bien. « Je suis trop indépendante pour fonder une famille, explique-t-elle. J’aime les enfants (ceux de mes copines, de mes cousins ou de mes collègues, même si je me sens parfois un peu mal à l’aise en présence de ces créatures fragiles et bruyantes), et je peux comprendre que certaines femmes ne puissent pas concevoir leur vie sans eux. Il n’empêche : je sais que, moi, je ne suis pas faite pour cette vie-là. C’est comme ça, je n’y peux rien. La maternité a toujours représenté, à mes yeux, une contrainte. Elle implique de faire entrer dans sa vie des paramètres qui bouleversent le quotidien. Au risque de passer pour quelqu’un d’égoïste, je préfère être libre de faire toutes les choses qui me tiennent à cœur, plutôt que de me consacrer à un autre être humain. J’ai envie de m’accomplir professionnellement, de voyager aux quatre coins de la planète ou, tout simplement, de pouvoir faire la grasse matinée le dimanche matin, si ça me chante. ».

Elle ne pouvait pas s’empêcher de nous lancer cette petite phrase qui avait le don de me crisper : « alors c’est pour quand ? »

Ne pas vouloir d’enfant ne signifie pas avoir, pour autant, une vie de nonne. Judith a, bien entendu, connu des hommes. « J’ai même été plusieurs fois amoureuse, précise-t-elle. Je n’ai néanmoins jamais ressenti ce fameux « appel des entrailles ». C’est ce qui a d’ailleurs parfois fait que mon partenaire et moi n’étions plus en phase. Et, je suis alors partie ». Si Brigitte, la maman de Judith, s’est un temps amusée du choix de vie de sa fille, elle a, au fil du temps, commencé à montrer quelques signes d’impatience.

« Quand j’avais une trentaine d’années, j’étais en couple avec un homme que je pensais « bien sous tous rapports », jusqu’à ce que je réalise qu’il n’était en fait pas si bien que ça, puisqu’il me trompait dès que j’avais le dos tourné, détaille la jeune femme. Bref, à l’époque, je me croyais heureuse et maman ne comprenait pas pourquoi, alors que nous étions, lui et moi, ensemble depuis un sacré bout de temps, que nous avions tous les deux un travail stable et que, de surcroît, il cochait, du moins en apparence, toutes les cases, je ne me projetais toujours pas en tant que mère. Quand elle nous voyait, elle ne pouvait pas s’empêcher de nous lancer, avec un sourire béat, cette petite phrase qui avait le don de me crisper : « alors c’est pour quand ? » Je n’osais même plus retirer mon manteau devant elle, de peur de sentir son regard jauger immédiatement mon ventre, afin de savoir s’il pouvait être (ou non) celui d’une femme en gestation ».

Absence de compassion

Durant des années, Brigitte ne cesse de répéter à qui veut l’entendre qu’elle a hâte d’ être grand-mère, mais aussi de faire comprendre à sa fille que, si elle traîne trop, son horloge biologique finira par cesser de sonner. « Le sujet était devenu une vraie obsession pour elle, glisse Judith. Elle m’en parlait tout le temps, y compris pendant mes périodes de célibat. Lorsque je lui rappelais que je ne voulais pas d’enfant, que c’était mon choix et que j’étais très heureuse comme ça, elle me disait que j’allais le regretter, notamment quand je serais vieille, car je n’aurais personne pour s’occuper de moi ».

J’avais l’impression que son bien-être émotionnel dépendait entièrement de ma personne

Entre Judith et Brigitte, la communication devient alors très difficile. « À chaque fois que l’une de ses amies devenait grand-mère, elle ne pouvait pas s’empêcher de lâcher, en soupirant : elle a de la chance, elle, raconte la quadra. Il lui est même arrivé de pleurer devant moi. J’avais l’impression que son bien-être émotionnel dépendait entièrement de ma personne et que, du coup, j’étais une mauvaise fille, puisqu’elle souffrait. Par ma faute. C’était tellement pesant que, pendant un temps (je dirais près de deux ans), j’ai eu besoin de prendre un peu de distance avec elle, même si l’on n’a jamais cessé de se parler. Et, de s’aimer ».

Retour d’une relation fusionnelle

Avec la maturité, Judith a heureusement senti peu à peu la pression retomber. « Depuis que j’ai passé le cap de la quarantaine, notre relation s’est considérablement apaisée et nous avons retrouvé le plaisir de passer des moments ensemble, dit-elle. Il est vrai que maman ne met quasiment plus le sujet sur la table. Je crois qu’elle s’est fait une raison. Elle sait qu’elle ne sera jamais grand-mère, mais elle me voit épanouie et cela suffit à donner du sens à sa vie. C’est une libération immense pour moi, même si j’avais toujours, en mon for intérieur, le sentiment de l’avoir un peu déçue. De ne pas avoir été l’enfant qu’elle attendait ».

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