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La question psy : possessivité en amitié, comment se libérer de cette souffrance ?

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« Camélia* est mon amie depuis trois ans. Dès le début de notre relation, elle m’a avoué qu’elle était très possessive en amitié, mais pas en couple, raconte Sophie*, 28 ans. J’ai commencé à m’en rendre compte vis-à-vis de ses amitiés plus anciennes, plus ancrées dans le temps. Lorsque deux de ses copines se rencontraient et tissaient des liens entre elles, elle n’aimait pas ça. Il fallait toujours qu’elle reste au centre. Si ses deux amies se voyaient en son absence, cela devenait très problématique. »

Au fil du temps, cette possessivité a pris de la place au sein de leur propre relation amicale. « Lorsqu’on se voit toutes les deux, on parle beaucoup de nos vies professionnelles, puisque nos secteurs d’activité sont très proches, poursuit Sophie. En revanche, Camélia ne me pose jamais de questions sur ma vie sentimentale. Le jour où elle devait rencontrer mon compagnon, elle a trouvé un prétexte pour faire autre chose de sa soirée. Je suis en couple depuis deux ans, et elle ne s’est jamais intéressée à lui. Aujourd’hui, elle serait incapable de dire en quoi mon chéri me correspond, quels sont nos points communs, et tout ce qui fait que nous sommes heureux ensemble. Par conséquent, je ne lui parle jamais de mes histoires de cœur. Pourtant, j’aurais beaucoup de choses à lui raconter… »   

La possessivité en amitié est surtout répandue chez les enfants et adolescent·es. Mais il arrive que ce besoin d’exclusivité perdure à l’âge adulte. De l’autre côté de la relation, quelles blessures se cachent derrière ce comportement d’accaparation ? À quel point est-il toxique ? De quoi les personnes possessives ont-elles peur ? Comment lâcher prise ? 

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LA RÉPONSE D’UNE PSYCHOLOGUE

« La possessivité ne fait pas partie du référentiel de la psychologie. Néanmoins, on peut le rapprocher de l’exclusivité. Cela renvoie au besoin de se sentir unique dans le lien à l’autre. Chez les enfants et les ados, le lien d’amitié peut être très exclusif et il y a souvent de la rivalité, qui rejoue en fait la scène œdipienne. C’est notamment très fréquent chez les petites filles, qui peuvent être confrontées à de gros conflits lorsqu’une troisième copine intervient dans le cercle amical. En grandissant, ce comportement a tendance à se déplacer dans la sphère amoureuse. Chez l’adulte, la possessivité est donc plus surprenante en amitié que dans le couple, même si cela existe. 

Traumatisme d’enfance, difficulté à partager 

On peut y voir le déplacement de quelque chose qui devrait se jouer sur la scène amoureuse, mais qui a glissé sur la sphère amicale, peut-être faute de relation sentimentale, ou parce que cela renvoie à une situation dans l’enfance, plus propre à l’individu. Par exemple, s’il y a eu l’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur, l’enfant a pu avoir le sentiment de perdre l’amour de ses parents. Ce sont des tournants typiques, où une forme d’angoisse peut se nouer et perdurer. On en oublie les traces originelles, et ne subsiste que la peur de perdre l’amour de ce qu’on appelle l’objet premier. « Ce n’est pas le moment, tu vois bien que je m’occupe de ta petite sœur », « va jouer dans ta chambre »… Ces petites injonctions, qui paraissent anodines pour le parent, peuvent être vécues comme un rejet violent de la part de l’enfant. Sur le long terme, cela peut laisser des traces, et perdurer dans le besoin d’un amour exclusif. 

La possessivité, c’est ce besoin d’accaparer, de garder pour soi. En psychanalyse, cela renvoie à ce qu’on appelle la « phase anale », c’est-à-dire le stade de la petite enfance, où l’être humain apprend le contrôle de soi, et pourquoi pas le contrôle de l’autre. Cela donne un certain pouvoir, une emprise sur l’autre. Les gens collectionneurs, souvent, ont ce besoin de multiplier, pour soi. Une attitude qui va de pair avec la difficulté à partager – que ce soit ce que l’on possède ou sa relation à l’autre. Dans une approche psychanalytique, une possessivité maladive ou une exclusivité extrême au point de pas pouvoir partager ses amis, peuvent faire écho à une fragilité dans l’enfance. Il peut s’agir d’un épisode traumatique, une carence, un manque ou au contraire un excès, un abus… Par exemple, un enfant ayant souffert d’un manque affectif peut s’être raccroché à ce qu’il pouvait, à son extrême contrôle et à son besoin d’exclusivité. 

Y a-t-il un lien avec la jalousie ?

La jalousie, c’est quand une tierce personne entre en jeu, et qu’on a peur de perdre l’autre. Et c’est parce qu’il y a de la possessivité, une difficulté à partager, que l’on craint de perdre l’amitié ou l’amour de l’autre. Cela en dit long sur le besoin de réassurance, ce que certains appelleraient le manque de confiance en soi. Mais c’est un peu plus complexe que ça. En réalité, cela renvoie à une peur de déplaire. Comme si l’autre ne pouvait pas partager son cœur, et que le fait de s’attacher à quelqu’un d’autre se ferait au détriment de leur propre amitié. Pourtant, l’amour amical est censé se distinguer de l’amour amoureux, précisément parce que ces enjeux d’exclusivité n’existent a priori pas.  

Au-delà de la peur de l’abandon et de la perte, le besoin d’exclusivité renvoie à une peur de la solitude, aux théories de Freud et Winnicott sur la « capacité à être seul ». Cela peut faire écho à une difficulté d’acquisition dans la petite enfance, qui fait qu’il y a une focalisation sur quelqu’un d’autre. 

Quelles peuvent être les conséquences sur les relations amicales ?    

Au même titre que la jalousie, ce comportement peut devenir très douloureux, obsessionnel et très envahissant psychiquement pour la personne possessive. Il se joue là quelque chose de l’ordre du lien, et d’une blessure d’amour, qu’il est important de questionner en thérapie.

Par ailleurs, cela peut devenir difficile à vivre pour la personne qui fait l’objet de la possessivité. C’est un frein à sa liberté de fréquenter qui elle veut et de faire ce qu’elle veut. On va retrouver quelque chose de l’ordre de la triangulation, parce que la personne qui fait l’objet de cette exclusivité se trouve tiraillée entre les différents membres de son entourage. Nécessairement, cela peut donner lieu à des tensions, des conflits, voire de la dissimulation. On rentre ensuite dans des relations moins saines, qui peuvent être considérées comme toxiques. En effet, il y a quelque chose de l’ordre de l’emprise qui s’immisce dans la relation. 

Comment surmonter la possessivité en amitié ?

J’inviterais la personne possessive à s’interroger sur ce qu’elle investit dans cette relation. Pourquoi lui accorde-t-elle une place aussi prédominante dans sa vie ? N’y a-t-il pas une plus juste distance à trouver dans sa relation ? Dans un deuxième temps, discuter avec son ami·e, pour essayer de comprendre comment c’est vécu, et rééquilibrer ensemble les termes de leur amitié.

Si la personne exclusive constate que ce comportement nuit à ses relations, ou qu’elle-même souffre de cette possessivité, le mieux est de se faire accompagner en psychothérapie, pour essayer d’identifier les douleurs plus lointaines et infantiles. À quel besoin ça vient répondre ? Qu’est-ce qui se rejoue sur la scène amicale ? »

Stéphanie Grousset, psychologue clinicienne.

(*) Les prénoms ont été modifiés. 

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