Santé

« Le manifesting » : la nouvelle méthode Coué qui fait de plus en plus d’adeptes

Ariana Grande jure qu’elle a manifesté sa « carrière de rêve » et  Cara Delevingne affirmait récemment qu’elle manifeste un bébé. Échaudée par l’amour,  Kim Kardashian manifeste aussi son prochain boyfriend. Il y a peu, elle énumérait les qualités attendues : « Me protège », « Se bat pour moi », « Adore la muscu », « Beaucoup de succès », « Belles dents »… Bien sûr,  Oprah Winfrey y croit dur comme fer : « La façon dont vous pensez crée votre réalité », répète-t-elle.

Sans oublier  Bella Hadid, aperçue avec le dernier best-seller de développement personnel outre Atlantique : « Manifest : 7 Steps to Living Your Best Life » (en français, « Le Pouvoir de la manifestation : 7 étapes pour changer de vie grâce à la loi de l’attraction »), de Roxie Nafousi, trentenaire londonienne qui, après avoir dispensé des conseils mode, est devenue « guide en santé spirituelle ». Elle soutient que le manifesting l’a sauvée des soirées chargées en cocaïne.

Le  manifesting ? Non pas la tradition de battre le pavé, mais la dernière croyance du marché de l’anxiété, selon laquelle croire en ses rêves les fera advenir – si on a la technique. En gros : visualiser avec conviction un coffre-fort bourré de liasses de billets, un mari milliardaire de la  Silicon Valley, des fans et amants en délire, un bonheur en titane, et ils surgiront. « Vous pouvez vous entraîner à manifester pour attirer tout ce que vous voulez, que ce soit une entreprise prospère, une meilleure santé, une relation ou même un objet matériel. Lorsque vous vous alignez avec l’énergie d’amour de l’univers, il n’y a pas de limites à ce que vous pouvez attirer. Dès que vous lâchez prise, vous devenez un aimant », affirme ainsi sur son site la papesse américaine du self help Gabby Bernstein. L’expression « Tais-toi, je manifeste » trône maintenant jusque sur des tote bags…

Mais rien de très nouveau sous le soleil. Vu de près, le manifesting ressemble beaucoup à la pensée positive et à la méthode Coué, comme un emballage tout neuf pour célébrer la force de l’imagination. « Quand on veut, on peut » – avec une touche de mysticisme. En 2006, Rhonda Byrne, productrice télé australienne, écoulait 300 millions d’exemplaires d’un livre baptisé « Le Secret ». Elle y défendait la « loi de l’attraction », selon laquelle nos pensées, positives ou négatives, ont un lien avec l’univers et ont des effets sur la réalité. Une philosophie qui s’inspire largement du courant religieux de la Nouvelle Pensée, très en vogue à la fin du XIXe siècle, qui croyait au pouvoir guérisseur des pensées.

Des perceptions différentes 

Et voilà qu’en 2020 Netflix produit une version guimauve de « The Secret », avec  Katie Holmes au casting. Un boulevard pour le manifesting. Si, décennie après décennie, l’individu semble tellement s’accrocher à l’idée qu’il peut jouer avec les forces de l’univers, c’est qu’il a mal digéré « la promesse trahie de la modernité », selon le philosophe et sociologue des croyances Raphaël Liogier, qui publie le 31 août « Khaos » (éd. Les Liens qui libèrent). « Les humains ont toujours cherché la signification de ce qu’ils vivent sur Terre en regardant vers le ciel, analyse-t-il. Or depuis le XIXe siècle, on nous dit que tout est déterminé et mécanisé. Certains préfèrent croire que leurs pensées sont libres et reliées à une structure invisible. Cela a commencé avec le concept de magnétisme animal, au XVIIIe siècle, auquel même Hegel croyait, puis on s’est mis à croire aux ondes, aux énergies, qui sont suffisamment invisibles pour être considérées comme divines, mais ont une connotation suffisamment scientifique pour donner le sentiment qu’il y a quelque chose de rationnel. Quant à la pensée positive, c’est la version spirituelle de l’hyper-individualisme contemporain, une nouvelle façon de dire : vous écrivez votre destin. »

C’est du new age avec un meilleur habillage marketing

L’humain manque de transcendance ? Il lui reste le manifesting. Le phénomène est un véritable marché de formations et de coachings variés sur les réseaux sociaux, surtout depuis le Covid, comme l’a constaté Camille Teste. Ex-journaliste désormais enseignante de  yoga, elle a publié le passionnant « Politiser le bien-être » (éd. Binge Audio Éditions), où elle s’attaque aux mythes du développement personnel. « Le fait que pendant le Covid les gens aient été perdus, déprimés, les a rendus poreux aux propositions comme le manifesting, confie-t-elle. Nombre de ces formations fonctionnent sur le principe de la vente pyramidale. Et comme dans le monde du new age l’argent est considéré comme une énergie, il ne faut pas vous en vouloir si vous vendez 3 000 euros un coaching à une mère isolée au Smic : c’est le signe que vous êtes connecté à l’univers. »

Dans son podcast « Coups de grâce », Ana, pétillante trentenaire, dénonce les manipulations de la nouvelle nébuleuse spirituelle : « Aujourd’hui, n’importe qui peut créer son compte TikTok ou Instagram et s’inventer une légende, vendre des conseils, et les croyances et les abus explosent. » Elle-même s’est retrouvée endoctrinée via YouTube, avant de se former pour contre-attaquer.

« C’est du new age avec un meilleur habillage marketing, poursuit-elle. Dans le manifesting, on prétend pouvoir faire venir l’abondance. Pour cela, il faut atteindre un “taux vibratoire” élevé grâce à des exercices de gratitude et d’affirmation positive. Ensuite, l’univers est super heureux et envoie tout ce que vous voulez ! On vous dit d’ailleurs que sur le plan quantique, c’est déjà là. Ça ne veut rien dire, mais dans une société qui pousse à devenir la meilleure version de soi-même le développement personnel et la spiritualité se sont hybridés. Une myriade de coachs prétendent avoir un don. Je les surnomme escrocs-thérapeutes : ils n’ont aucune formation et s’inventent des titres du genre ostéopathe de l’âme, manager d’ego… » Une nébuleuse de plus en plus insaisissable que la documentariste Élisabeth Feytit, après avoir été, elle aussi, endoctrinée, déconstruit patiemment dans le podcast « Méta de choc ».

Une nouvelle forme de menace 

Dans son essai, Camille Teste alerte aussi sur un autre mélange des genres : l’essor de la « conspiritualité », ce nouveau relais entre spiritualité et  conspirationnisme. « Dans ce new age-là, on vous explique les inégalités sociales par le fait que les riches ont bien “élevé” leur énergie, contrairement aux pauvres », ajoute celle qui défend une version militante du bien-être. « Le  self care est un concept né dans le milieu infirmier dans les années 1950. Il avait vocation à responsabiliser les patients sur leur santé.  Il a surtout été politisé dans les années 1970- 1980 par les mouvements des droits civiques américains. On disait qu’il était nécessaire de mettre en place des outils pour que les gens puissent prendre soin d’eux et de leur communauté. Avec le néolibéralisme, le self care est devenu une manière de s’optimiser soi-même, et non plus de changer le monde », déplore-t-elle.

Ana, elle, dénonce surtout « la culpabilisation délétère des  émotions négatives » : « J’ai interpellé une influenceuse française qui prétend que la dépression est une question de “mindset”, un état d’esprit. On s’intéresse enfin aux troubles de la santé mentale, on les accepte mieux, et ces coachs flirtent avec l’exercice illégal de la médecine en disant qu’il suffit de rester positif. Si ça se trouve, celui qui les suit a besoin d’être sous anxiolytiques pour ne pas se foutre en l’air… » 

À l’époque, Rhonda Byrne affirmait que « la maladie ne peut pas exister dans un corps qui a des pensées harmonieuses ». Une pandémie plus tard, elle publie son septième ouvrage : « Le Secret de l’amour, de la santé et de l’argent »… et inspire des millions d’aspirants gourous. Dont Roxy Marrone, Londonienne de 23 ans qui affirme que sa mère est chamane, vend ses bijoux de manifesting à 2 000 euros et conseille, durant ses retraites spirituelles, d’exprimer sa gratitude envers son petit déjeuner. Il faut ce qu’il faut pour s’aligner avec l’énergie de l’univers.

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