Santé

Les smartphones ont-ils diminué notre capacité à être concentrés ?

Bravo, vous avez commencé à lire cet article ! Mais arriverez-vous à sa conclusion sans vous arrêter une seule fois pour consulter votre portable, répondre à un message, checker Insta, WhatsApp, la météo ou les infos ? Il y a de fortes chances que vous souffriez vous aussi de la maladie du siècle : une incapacité à focaliser son attention longtemps sur quelque chose. Ce mal dont on aime bien accuser les ados concerne tout autant les adultes. Selon une étude Data.ai de 2022, les Français passent près de quatre heures par jour en moyenne sur leur mobile ! Et une étude de la société britannique Tecmark révélait, en 2019, qu’on regarderait nos smartphones près de 221 fois par jour…

Des pratiques compulsives, qui ont brisé notre attention. « Nous n’en sommes plus à nous demander si nous souffrons d’addiction aux écrans ou pas, explique Sophie Lavault, docteure en neurosciences et autrice d’un livre à paraître le 2 novembre, “Revenir à soi. Comment le numérique nous déconnecte de nous-mêmes” (éd. Albin Michel). Le fait est là, nous sommes tous accros ! Nous avons atteint la deuxième étape : nous constatons les conséquences concrètes que cela a sur notre psychisme, et en premier lieu sur notre concentration. » Comme l’annonçait le directeur d’Arte Bruno Patino dans un livre publié en 2019 chez Grasset, nous vivons dans « la civilisation du poisson rouge ».

Des exemples de cette grande dispersion ? Tout le monde pourra en trouver dans sa vie quotidienne. C’est quand vous prenez votre smartphone pour chercher une information précise et que vous vous retrouvez à faire tout autre chose, en ayant oublié votre intention première. C’est quand vous trouvez un film trop long (une heure trente !) et que vous ne pouvez pas vous empêcher d’avoir votre mobile à portée de main (la honte !). C’est quand vous n’arrivez plus à faire la queue à la boulangerie ou à la pharmacie, boule d’impatience que vous êtes, et que vous vous lancez dans un Tetris ou un échange WhatsApp…

Apprendre autrement

Première victime de ce papillonnage ? Notre capacité de lecture, préservée uniquement pendant les vacances. Comme le disait Nicolas Demorand, aux manettes de la matinale de France Inter, dans une interview à « Télérama » le 27 août dernier : « Cet été, j’ai lu tout le temps, téléphone éteint. C’était le réveil d’une fonction cérébrale endormie : la capacité d’attention. » Autre signe inquiétant, le public lirait de moins en moins d’articles de presse sur Internet, préférant s’informer par le biais de petites vidéos. « Les gens n’ont plus la force mentale de lire un texte », expliquait récemment Jonas, un community manager, dans le magazine en ligne « L’ADN ». Enfin, bien sûr, c’est notre capacité même à travailler qui est atteinte. Ainsi, selon une étude américaine choc réalisée par Gallup/State of Global Workplace en 2023, les employés interrogés expliquent être « pleinement productifs » pendant moins de trois heures dans une journée… À la question « Que faites-vous le reste du temps ? », ils répondent : des réseaux sociaux (pendant quarante-quatre minutes par jour), lire les infos sur les sites Web (une heure cinq par jour)… Ambiance.

Il existe une satisfaction particulière à avoir été concentré pendant longtemps

Mais, au fait, est-ce si grave que cela de ne pas arriver à se concentrer ? Ne peut-on pas imaginer que nous assistions à l’apparition d’une nouvelle espèce d’êtres humains, l’« homo dispersus », qui serait distraite, inattentive, jamais « focused », mais qui parviendrait cahin-caha à faire son travail et à traverser l’existence ? « C’est une hypothèse séduisante, répond Sophie Lavault. Mais la vérité est que cet état de dispersion ne nous rend pas plus heureux ou épanoui. Au contraire. Parvenir à focaliser son attention est ce qui nous permet de mener une tâche à son terme. Il existe une satisfaction particulière à avoir été concentré pendant longtemps. » Tous ceux qui ont planché sur un devoir scolaire difficile, qui se sont absorbés longuement dans une activité quelconque (jardinage, bricolage, yoga, musique, cuisine, etc.) savent le plaisir que l’on peut en tirer.

À l’opposé, la déconcentration permanente provoquée par les écrans est synonyme de frustration, d’épuisement : on se disperse, on est étourdi, on ne sait plus très bien « où on habite » (comme lorsqu’on a trop scrollé sur Instagram). « Avec le numérique, la quantité d’informations en tout genre qui circulent – news, météo, réseaux sociaux – dépasse nos capacités cognitives, résume le psychiatre Gérard Macqueron, auteur du livre “Psychologie de l’attention” (éd. Odile Jacob). Il en résulte un sentiment de fatigue, de saturation, d’irritabilité. » Le chercheur critique ainsi l’idée du « multitasking » : « On ne peut faire psychiquement deux choses à la fois. » Et il rappelle comme il est fatigant d’arrêter une tâche pour répondre à une sollicitation, et de revenir ensuite dessus.

Étude à l’ancienne

Selon une étude de l’Université de Californie, à Irvine, un employé est dérangé toutes les trois minutes au bureau et met vingt-trois minutes à se reconcentrer ! Dès lors, comme tous les spécialistes, Gérard Macqueron préconise quelques règles simples pour mieux travailler : couper les notifications, voire éteindre son smartphone, le mettre loin de soi (Vade retro satana !), travailler par tranches de vingt-cinq minutes (la méthode Pomodoro), s’isoler, se fixer un but précis, faire une tâche à la fois, porter un casque antibruit si on est dans un open space, etc. Mais c’est encore d’un point de vue existentiel que la déconcentration est le plus dommageable. « Quand on se laisse étourdir par les sollicitations numériques, on n’est plus connecté à soi-même et à notre environnement naturel, note Sophie Lavault. On ne fait plus attention à nos émotions profondes, notamment tout ce qui est négatif : tristesse, ennui. On est dans un état de fuite. Le numérique est un anesthésiant, comme l’alcool. Pourtant, c’est en acceptant de regarder en face ces flottements, ces émotions négatives qu’on peut faire le point et réfléchir à ce qui est vraiment important pour nous, à ce qui donne du sens à notre vie. »

Bref, si vous voulez vivre mieux, reconcentrez-vous !

Même son de cloche du côté de Gérard Macqueron, qui explique : « L’univers digital ne nous permet pas de prendre le temps de réfléchir, car il nous offre les réponses tout de suite ! Or, ce n’est pas toujours dans l’action et la stimulation qu’on se construit, c’est aussi dans le calme, dans le fait de se poser, de s’ennuyer, de réfléchir. » Bref, si vous voulez vivre mieux, vous sentir plus épanoui, être plus efficace, en meilleure intelligence avec vous-même et le monde, reconcentrez-vous !

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