nc – Elle

« Je perds 1200 euros par mois », Nathalie, 57 ans 

« J’étais plutôt angoissée lors de ma dernière mammographie, car j’ai des antécédents familiaux. Et puis, les médecins ont trouvé des ganglions. L’une des premières personnes à qui j’ai pensé, c’est mon ex-mari. J’allais peut-être mourir, il fallait donc que j’en parle tout de suite à leur père, dont je suis séparée depuis moins d’un an. Il a été super et m’a accompagnée voir l’oncologue après le PET-Scan. J’ai annoncé la nouvelle à mes deux fils de 12 ans et demi et 16 ans et demi autour d’un hamburger, sans rentrer dans les détails. Je leur ai demandé s’ils avaient des questions, ils n’en avaient pas. Peu après, mon ex-mari et moi avons appris que je n’avais pas de métastases. Nous sommes tombés en pleurs dans les bras l’un de l’autre, soulagés et pleins d’espoir.  

Avant le cancer, j’étais prof de lettres au lycée. Quand je l’ai appris, je pensais pouvoir continuer à travailler. J’ai fait fi de la possibilité de m’arrêter, parce qu’il me fallait du temps pour réaliser, parce que j’aime trop mon travail, ou simplement par déni. Je me suis vite aperçue que ce n’était pas compatible avec la maladie. Les horaires changeants rendaient tout ça trop compliqué.  

L’arrêt maladie rime avec la fin des heures supplémentaires, des multiples projets rémunérés auxquels je participais. Désormais, j’ai un salaire de plancher et je perds 1200 euros par mois. On sait que lorsque les femmes se séparent de leur conjoint, elles se paupérisent. C’est ce qui s’est passé pour moi, parce que j’ai arrêté de travailler à la naissance de mes enfants. Plus tard, on fait les comptes et on s’aperçoit que l’on perd de l’argent. C’est la double peine. 

Mon ex-mari ne m’a pas parlé d’argent. Je pourrais demander une pension alimentaire mais je préfèrerais obtenir un accord à l’amiable. Par exemple, leur père pourrait prendre en charge les frais sportifs des enfants, qui font de la compétition. Financièrement, je crains de ne pas m’en sortir avec mon loyer de 1300 euros par mois. C’est la première chose à laquelle j’ai pensé : l’argent. Avec mes enfants, comment va-t-on faire ? J’ai peur de faire mes comptes. On est le 11 du mois et je suis déjà à découvert de 600 euros.  

J’ai dû faire appel à ma maman et je vais prendre sur mes économies, car je n’ai pas d’assurance prévoyance. J’espère que, dans un an, tout sera terminé. Si cela dure plus longtemps, la CAF m’a expliqué qu’en tant que parent isolé, j’avais droit à un logement social. C’est un déclassement pour moi : je passerais d’une vie très agréable, presque bourgeoise, à un train de vie plus modeste. Mais entre ça et le fait que mes enfants n’aient pas leur chambre, la question ne se pose pas.  

Socialement, je suis très entourée. Mes meilleures amies sont là pour moi : l’une va me faire un gâteau au gingembre, l’autre va traduire une ordonnance que je n’arrive pas à lire. Un de mes voisins nettoie la cage d’escaliers, chose que je faisais avant. Mes enfants, eux, sont super et m’aident à la maison. Pour mes repas, car j’ai un peu de mal à les faire, ou pour ranger leur chambre, ce que je faisais systématiquement avant de tomber malade. Ils sortent même mon chien quand je suis trop KO.  

Je ne suis pas sûre qu’ils aient tout à fait compris l’enjeu. J’ai demandé à un des meilleurs amis de mon aîné d’en parler avec lui. Il n’était pas bien depuis la rentrée et son ami a eu un cancer du sein dans sa famille, il a donc vécu l’épreuve de près. Le plus jeune voit quand je suis fatiguée. Hier, j’ai eu un petit malaise en l’amenant au tennis. Il m’a dit : « Maman, demain tu ne m’emmènes pas, je prendrai le bus ».  

Intellectuellement, je ressens la fatigue et peine à me concentrer. J’ai des pertes de mémoire que je mettais sur le compte de la fatigue. En fait, il s’agit d’une surcharge psychique due à la maladie. Les choses m’échappent : les matchs de foot, les rendez-vous médicaux. Le fait que je ne travaille plus me soulage d’une charge mentale, j’ai mes fils depuis quinze jours à la maison et je n’ai pas oublié leur prochain match de foot ! »