Santé

Quand l’argent prend le pas sur l’amour

« À chaque dispute, le sujet revenait sur le tapis », raconte Julie, quarantenaire. « Je me plaignais de ne pas réussir à mettre de l’argent de côté sans comprendre où passait mon salaire. De son côté, mon conjoint avait la sensation de dépenser plus d’argent que moi vu qu’il avait en charge de régler les grosses dépenses comme les vacances », poursuit la quarantenaire. Lasse que ce sujet de dispute revienne sans cesse sur le tapis, cette Parisienne et mère de deux enfants garde tous les tickets de caisse pendant quatre mois, fait un tableau Excel des dépenses de l’un et de l’autre et présente le résultat à son partenaire.

« Au final, sans le savoir, nos dépenses étaient équivalentes », poursuit-elle. « ça a apaisé la situation et cela nous a permis d’en parler : comment le gérer, comment le dépenser…. Depuis, ce n’est plus un sujet de tensions entre nous. » Comme pour Julie et son conjoint, l’argent peut être au cœur des disputes. «  L’argent est un sujet tabou dans le couple, cela désorganise souvent la relation de manière implicite. Ce n’est pas neutre, et cela peut avoir une incidence fragilisante ou structurante », explique Nicole Prieur, thérapeute et co-auteure de « La Famille, l’argent, l’amour »*. « En cas de disputes, la somme de mécontentements liée à l’argent peut ressortir, comme une calculette inconsciente », ajoute la professionnelle. C’est le cas de Cécile et son partenaire Pierre. En couple depuis 8 ans, ils sont parents d’un petit garçon dont Pierre s’occupe au quotidien depuis que sa société a mis la clé sous la porte.

Il faut être en mesure de valoriser aussi le don de l’autre

« Je suis donc la seule à avoir un salaire et même si mes revenus sont confortables, dès qu’on se dispute, je ne peux m’empêcher de lui reprocher de ne pas gagner d’argent », souligne la trentenaire. Cécile est pourtant consciente du confort provoqué par le chômage de son conjoint et de son investissement au sein de leur foyer. Elle ne gère au quotidien aucune tâche ménagère, n’a aucuns frais de garde pour son fils… Il n’empêche que l’argent se retrouve être un sujet conflictuel. « Il faut prendre en considération, l’économie cachée du couple, ce qui est attendu humainement, psychiquement, socialement pour qu’on y trouve notre compte au-delà de la circulation de l’argent. Il faut être en mesure de valoriser aussi le don de l’autre. L’inégalité financière va être absorbée quand ce don est reconnu par l’autre et reçu pleinement », ajoute Nicole Prieur. « L’argent, ce n’est pas que la monnaie et la part économique qui peuvent avoir un impact symbolique dans le couple », ajoute-t-elle.

L’argent, un sujet à aborder d’emblée

Pour Héloïse Bolle, fondatrice de Oseille et compagnie, conseillère en gestion de patrimoine et co-auteure de « Aux thunes citoyennes »**, il est temps de lever le voile sur cette « arnaque sociétale. On peut être amoureux et avoir envie de défendre ses intérêts économiques », précise-t-elle. « Dès qu’on parle d’argent au sein du couple, il y a une suspicion d’intérêt et de non-amour. » Comme si au final, amour et argent ne faisaient pas bon ménage. «  ¾ des femmes gagnent moins que leurs conjoints. Il va falloir créer un sentiment d’équité dans le couple à partir de cette base d’inégalité », ajoute Nicole Prieur.

Mathilde et son compagnon font 50/50 sur les dépenses communes depuis le début de leur histoire. Or la jeune femme gagne 3 fois moins que son partenaire. « J’y ai mis un point d’honneur au départ, en me disant je suis féministe, il est hors de question que ce soit mon partenaire qui m’entretienne », raconte cette trentenaire. « Or chaque fin de mois, je suis à sec, pendant que mon conjoint, lui, met de l’argent de côté. » La trentenaire n’ose pas aborder le sujet avec lui maintenant que leur système est en place depuis quelques années. Pour Héloïse Bolle, « il ne faut surtout pas faire 50/50 quand on ne gagne pas la même chose. Cette revendication de l’autonomie financière est une erreur et met en péril celui qui est le moins rémunéré. »

Libérer la parole autour de ce tabou permet de construire une relation plus saine et plus sereine

De son côté, Sylvia a vécu une relation compliquée à l’argent avec son ex-mari. « On a toujours fait 50/50 alors que mon ex-conjoint gagnait mieux sa vie que moi… le jour où mon salaire est devenu plus élevé que le sien, il a souhaité changer notre fonctionnement, ce qui en soi ne me posait pas de problème », raconte la sexagénaire. À la moindre dispute, le sujet de l’argent revenait aussi sur le tapis : le fait que Sylvia gagne plus, réussisse à épargner… « On ne pouvait jamais en discuter, j’avais la sensation de me faire tout le temps avoir… ça a été l’une des raisons pour lesquelles nous avons divorcé. »

Comment faire alors pour ne nourrir aucune frustration, développer un système d’équité autour de l’argent afin que chacun y trouve son compte ? Les deux experts s’accordent à dire que c’est un sujet qui doit être d’emblée abordé, les transactions financières arrivant très vite dans une histoire à deux.

Ensuite, pour Héloise Bolle, l’idéal est que « chacun ait son compte plus un ou deux comptes joints, l’un pour les crédits et l’autre pour les dépenses courantes. L’argent est un instrument de liberté économique. Il faut refaire un point régulièrement pour voir si la situation est toujours adaptée. L’arrivée d’un enfant, une augmentation… sont autant d’éléments qui méritent une discussion », souligne cette conseillère en gestion de patrimoine. Libérer la parole autour de ce tabou permet de construire une relation plus saine et plus sereine. « Plus on aime, plus on compte et plus on ose parler d’argent, plus on arrive à s’aimer », conclut Nicole Prieur.

* « La famille, l’argent, l’amour » de Nicole Prieur et Bernard Prieur, 272p, Éditions Albin Michel

** « Aux thunes citoyennes » de Insaff el Hassini et Héloïse Bolle, 256p, Éditions Alisio

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