Santé

Tendance : pourquoi aspirons-nous tous au cocooning ?

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Tous aux abris ? Il semblerait que ce soit le mot d’ordre de ce début d’année 2024. Sur les bonnes raisons que nous avons de traquer la douceur sous toutes ses formes, inutile de vous faire un dessin. Nous sommes parfaitement au courant de tout ce qui va mal. Même les milliardaires de la Silicon Valley, Mark Zuckerberg (à Hawaï), Jeff Bezos (en Floride) ou Sam Altman (en Nouvelle-Zélande) se fabriquent des planques « anti-apocalypse » !

Notre besoin de consolation est peut-être impossible à rassasier, selon le titre culte de l’écrivain Stig Dagerman, mais il est partout. La mode est son reflet le plus évident. La tendance est à la réassurance massive. Les experts évoquent la gloire du « comfort look » et le triomphe du « vestiaire IRL » (« in real life ») – expressions bien plus classe en anglais – qui infusent jusqu’au monde du luxe. Ainsi, le « homewear devient l’outwear », comme disent les pros, d’où un déferlement de doudounes géantes, chaussons hype (sabots fourrés, Crocs, charentaises stylées…), pyjamas chics et matières douces.

Au printemps s’annonce un tsunami pastel, des tonalités sédatives par excellence. Le tendre Peach Fuzz (« duvet de pêche ») est la couleur de l’année selon Pantone, soit l’anti-rose fluo agressif de Barbie. Les collections à venir seront bleu layette, lilas, coquille d’œuf, crème fouettée, gris perle ou vert tilleul… Des baumes moelleux sur nos cœurs écorchés, en mode comme en décoration inté- rieure. Idem côté assiette, la « comfort food » explose, le sucre analgésique en tête, et pas seulement sur TikTok : dans la vraie vie, on voit des queues de dix mètres se former pour l’achat d’un gâteau instagrammable, comme à Paris début décembre, lors de l’ouverture de l’enseigne de donuts Krispy Kreme. Même les bistrots jouent la carte affective du doudou gustatif, avec le gratin de coquillettes en vedette.

Un tendance qui émerge partout

En librairie, les auteurs de best-sellers que sont le psychiatre Christophe André et le philosophe Fabrice Midal délivrent, en ce mois de janvier, leurs nouvelles pistes vers le réconfort : le premier nous enjoint de nous décentrer (« S’estimer et s’oublier », éd. Odile Jacob), quand le second propose une « philosophie anti-découragement », histoire de cultiver le peu de ce qui va bien en nous (« La Théorie du bourgeon », éd. Flammarion/Versilio). Les meilleures ventes du moment (source Édistat) confirment cette aspiration majoritaire, puisque « Son odeur après la pluie », de Cédric Sapin-Defour (éd. Stock), récit de l’amour de l’auteur pour son chien, est encore en tête du podium, un an après sa parution !

Cet incroyable succès raconte en creux la folie des animaux de compagnie, qui a vu, depuis les confinements, de plus en plus de Français, et notamment les moins de 35 ans, s’enticher de petites boules de poils, chats ou chiens, comme autant de peluches (six Français sur dix, selon un sondage Ipsos, en juin 2023). Cette tendance émerge aussi à la télé, qui éponge la nostalgie des valeurs sûres : après « Star Academy », Amazon Prime Video annonce le retour de « Popstars », quand TF1 vient de réanimer, au début du mois, le feuilleton « Plus belle la vie », en le sous-titrant « Encore plus belle », au cas où le message passerait mal.

« Se réconforter est une véritable urgence en ce moment, nous rassure la philosophe Marie Robert, autrice d’“Une année de philosophie” (éd. Flammarion/Versilio). L’automne a été éprouvant et violent, apocalyptique du point de vue des clivages, colères, fâcheries, désaccords profonds… Il faut prendre le temps de reconstituer nos forces, de réparer cette grande fatigue alimentée par le sentiment d’être dépossédé de notre capacité d’action. Le réconfort n’est pas niais ou vain, il n’est pas non plus un repli sur soi. C’est le point de départ de tout le reste : il nous permet de nous solidifier, de faire renaître notre courage pour mener nos combats. »

Calme, sérénité, bien-être

Pour cette philosophe qui cherche à penser l’époque, c’est un besoin si important que l’on découvre, par hasard, qu’elle planche sur ce thème pour son prochain livre. Listant ce qui nous régénère, comme l’amitié ou l’intelligence collective, elle évoque la beauté et l’art. Le fait que les musées ont battu des records de fréquentation ces derniers mois lui donne mille fois raison : les expos Van Gogh, Rothko, Staël, Manet/Degas, Elsa Schiaparelli, Basquiat/Warhol ont davantage cartonné qu’à l’ordinaire. L’art au même titre que le feel good ? « Ça dépend, nuance-t-elle. La notion de bien- être est trop souvent dévoyée en injonctions performatives ou en recettes toutes faites, comme se lever à 5 heures du matin pour faire du yoga… Le feel good est devenu un marché parfois absurde, qui va d’un ésotérisme bullshit à des méthodes artificielles. C’est pourtant un enjeu profond. Certains matins, le ciel est vraiment très bas, et l’idée de mettre juste un peu de lumière est noble et fidèle à ma perception de la philosophie. »

Même la jeune génération préfère le cocooning

Face à cette aspiration au cocon, les penseurs ont pourtant bien souvent un regard condescendant. Ainsi, beaucoup jugeraient peut-être petit-bourgeois ou rabat-joie les résultats de l’enquête sur « la société idéale de demain aux yeux des Français » (Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès et la CFDT, novembre 2023), dans laquelle ne se dessine pas le rêve vigoureux de la « start-up nation », mais plutôt celui de « La Petite Maison dans la prairie » : en grande majorité, les Français, « inquiets, voire effrayés, par certaines perspectives liées au développement de la robotisation, du transhumanisme ou des réalités virtuelles », souhaitent pouvoir travailler dans la même structure classique (entreprise privée ou fonction publique) toute leur vie. Ils cherchent le refuge dans les derniers îlots perçus comme protecteurs de l’époque : famille, amis, maison. L’idéal du couple reste très fort, et la fidélité plébiscitée à 70 %. Nous aspirons massivement à vivre dans un cadre calme et tranquille, en proximité avec la nature et des services publics fonctionnels. Pas très rock… Même la jeune génération préfère le cocooning (grosse tendance sur les réseaux sociaux), la soirée Netflix à la nuit en boîte (d’ailleurs, les clubs ferment les uns après les autres).

Pourquoi cette légère culpabilité à vouloir se mettre à l’abri du monde, planqué sous un plaid ? « Le monde intellectuel a toujours trouvé plus de noblesse à l’idée de consolation qu’à celle du réconfort, comme si c’était plus métaphysique, plus élégant, plus proustien, éclaire Marie Robert. En philosophie, la consolation part d’un grand chagrin qu’on ne peut pas défaire, avec ce sous-entendu que la vie n’est que souffrance et qu’il y aurait une certaine majesté à la gravité. Le réconfort, lui, part d’un petit stress ou d’un vague à l’âme. Pourtant, je crois que ce sont nos petites peines additionnées qui, sans être forcément des tremblements de terre existentiels, font que le quotidien devient lourd, et qui appellent ce désir de réconfort, comme dans l’enfance. Plus que jamais, on a besoin de câlins, pour retrouver ce que la psychanalyste et philosophe Anne Dufourmantelle appelait “la puissance de la douceur”. Il y a une grande noblesse dans cette quête de joie et de douceur, tant elle exige d’efforts et de courage. »

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