Santé

Alice et les Infidèles : « J’ai passé le cap du love hotel avec un fétichiste des pieds et pas que… »

La journée avait pourtant démarré de manière on ne peut plus convenable. Après avoir déposé mes enfants à l’école, je suis retournée à la maison pour écrire. Tout était calme si l’on faisait abstraction des travaux dans le kebab qui vient de s’implanter au rez-de-chaussée – j’habite au premier.

Premier rendez-vous 

À midi, j’avais rendez-vous avec Cédric, 33 ans. J’avoue, quand il m’avait abordée sur Gleeden, je n’avais pas réagi. Je le trouvais très « pushy », il me fatiguait d’avance. Au bout d’une dizaine de relances, il avait fini par disparaître de mon paysage numérique sans que je ne m’en émeuve. Et puis, hier, il est revenu à la charge pour m’inviter à déjeuner. Allez savoir pourquoi, peut-être la simplicité de son offre, j’ai accepté – de plus, j’ai pour principe de ne jamais refuser un repas gratuit (je suis pigiste).

Je remonte la rue Sainte-Anne jusqu’à la cantine japonaise où Cédric m’a donné rendez-vous. À l’intérieur, je l’identifie instantanément à sa queue de cheval alors qu’il se tient assis au comptoir, auréolé d’un nuage de vapeur moite. Je pense à mes cheveux que je viens de shampouiner, et à l’odeur qui ne va pas manquer de s’y incruster. Résignée, je viens me jucher sur le tabouret à côté de lui tandis que le cuistot lui tend un bol de nouilles fumantes. Je lui glisse à l’oreille : « Salut… » Cédric sursaute en manquant de s’ébouillanter. Il s’excuse, tout penaud : « J’étais sûr que tu allais me planter alors j’ai commandé… » Je lui réponds qu’il a bien fait. De toute façon, je n’ai pas envie de m’éterniser – rapport à mon histoire de cheveux.

Je jette un œil rapide à la carte et me rabat sur les edanames. « Tu ne veux pas plutôt tester leur udon, c’est une tuerie ! » me dit-il. Lui-même est devenu accro depuis qu’il travaille dans le quartier. Il rénove un appartement pour un particulier, rue Saint-Augustin. Je lui dis que je n’ai pas tellement faim, j’ai pris un solide petit déjeuner. Gêné, Cédric attaque alors son plat avec ses baguettes en essayant de limiter les éclaboussures. Je ris. « Je baise mieux que je mange, hein » articule-t-il en aspirant une épaisse spaghetti. D’instinct, je recule pour éviter la souillure.

« Serial trompeur »

Je comprends très vite que Cédric est un infidèle chevronné. D’aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours trompé ses compagnes, y compris celle qui partage sa vie depuis sept ans et qui lui a donné deux enfants. « Avant de rencontrer Claire, j’étais sur toutes les applis possibles. C’était devenu une blague avec mes potes. Il n’y avait pas un soir où je n’avais pas un date. Pourtant, comme tu le vois, je ne suis pas particulièrement beau. Mais je baisais dix fois plus qu’eux. » 

Leur coup de foudre, né sur Meetic, calme ses ardeurs… pour un temps. « Avec elle, je me suis vraiment dit que j’allais réussir à être fidèle. Mais ça n’a pas duré », admet-il. Il choisit alors de circonscrire son aire de jeux à Gleeden qui a l’avantage, par rapport aux autres sites, de garantir un anonymat total. Planqué derrière son avatar Mec_TBM (pour « Très Bien Monté », NDLR), Cédric bombarde les utilisatrices de messages copiés collés : « Je sais que je suis relou mais c’est la seule manière de se démarquer. Gleeden, c’est la jungle ! » Je lui dis qu’effectivement, j’ai failli le bloquer plus d’une fois tellement il me harcelait. « Et pourquoi tu ne l’as pas fait ? » me rétorque-t-il.

 Si je n’avais pas Gleeden comme soupape, honnêtement, je serais en burn-out

J’essuie la goutte de bouillon qu’il vient de me postillonner sur la joue et choisis de lui répondre par une autre question. « Et ça paye, ta stratégie ? » Il hoche la tête d’un air de dire qu’il n’a pas à se plaindre. Il entretient en ce moment une liaison avec une maman de la classe de sa fille. « Quand elle m’a ouvert son album, j’ai halluciné ! » Depuis septembre, ils se croisent tous les matins à la maternelle puis se retrouvent chez l’un ou chez l’autre. « Mais depuis la rentrée, on a un peu freiné car son mari a des soupçons. Il ne me dit plus bonjour dans la rue… » 

Et Claire, n’a-t-elle pas flairé un truc ? Cédric m’assure que non. « Elle est infirmière et travaille en horaires décalés. En fait, on ne fait que se croiser, c’est très dur… » Il me déballe tout. Leur pavillon de Saint-Mandé, qu’il a construit de ses mains, le quotidien à la maison où il gère tout : les courses, les rendez-vous chez le pédiatre, les transports en vélo-cargo à la crèche puis à la maternelle avant de filer sur ses chantiers. Sans compter les nuits où c’est lui qui se lève systématiquement pour calmer les pleurs et les poussées de fièvre. Depuis deux ans, Cédric a investi le canapé pour laisser dormir son épouse, qui rentre très tard de sa garde. « Si je n’avais pas Gleeden comme soupape, honnêtement, je serais en burn-out », conclut-il sobrement avant de lâcher, la mâchoire serrée, « Finalement, les seules périodes où je ne l’ai pas trompée, c’était pendant ses grossesses… » 

Le temps d’un songe

J’éventre ma dernière cosse d’edaname et plonge dans mon téléphone. Sayed, mon bel inconnu (lire l’épisode 5), m’a envoyé une vidéo où il manque de se casser la figure à ski. Je souris devant son attitude gauche, pieds rentrés vers l’intérieur, comme le débutant qu’il est. Il m’écrit qu’il a passé le week-end dans une station suédoise avec sa femme, ses filles et ses beaux-parents. « Je n’en avais pas refait depuis mes 8 ans au Liban !! »

Je calcule mentalement. S’il a 37 ans, comme moi, alors ça devait être en 1993 ou 1994. Rafic Hariri venait d’être élu premier ministre et tentait de reconstruire le pays, meurtri par des années de guerre civile. La vision de Sayed enfant, en combinaison de ski sur la terre de ses ancêtres, m’émeut. D’un coup, mon esprit quitte le Little Tokyo parisien où je me trouve coincée avec ce bouffeur de soba pour graviter au-dessus des cèdres enneigés. Il ressort clairement de nos échanges que Sayed a idéalisé le Liban, où il ne s’est rendu qu’une seule et unique fois. « Là-bas, c’est incroyable m’avait-il déjà écrit. Tu pars skier le matin, et le soir, tu te baignes à Byblos en regardant le coucher du soleil… » 

Un fétichiste des pieds

« Ça va ? » Cédric se rappelle à moi en me caressant le mollet par-dessus mon pantalon. Je sursaute. « Tu sais que je fais aussi des massages… » me dit-il en continuant à me palper. En plus de son addiction au sexe, il m’explique qu’il est un « foot fetish », un fétichiste des pieds. J’écarquille les yeux. « Mais… tu fais quoi, exactement ? » Cédric aime sucer, masser, caresser les orteils féminins, sans que cela aboutisse forcément à un acte sexuel. Pour preuve, il se rend régulièrement à Argenteuil en RER chez « une Indienne avec des pieds sublimes, habillée de manière traditionnelle, mariée depuis ses 18 ans. Pendant que je m’occupe d’elle, elle fait ses réunions sur Zoom. » 

La vision de ce type à queue de cheval, prosterné aux pieds d’une « working mum » en sari, me fait éclater de rire. Ce qui ne perturbe en rien Cédric, qui me presse le mollet de plus belle. Je le laisse faire. Sa main passe sous mon pantalon. Ce peau à peau inopiné stoppe mon hilarité. Je me laisse aller à mes sensations. C’est vrai qu’il est doué… Je ne sais pas à quoi ça tient, cette cantine nippone assourdissante, les volutes de fumée enivrantes, les crevettes qui crépitent dans l’huile juste sous mon nez, mais je sens un désir inédit grandir en moi. Cédric continue à balader ses doigts le long de mon tibia, à l’arrière de mon genou… Je n’ai jamais ressenti de telles décharges d’excitation.

Je n’ai jamais franchi le seuil d’un love hotel auparavant

« Tu veux qu’on poursuive à l’hôtel ? » me demande-t-il en retirant sa main pour extraire son portefeuille de sa poche. Il tend sa CB au patron puis me fait signe de le suivre. Un peu plus bas, dans la rue, Cédric s’arrête devant un immeuble moderne réhaussé de néons rouges comme à Shibuya. Il me pointe les photos des chambres dans la vitrine. « Laquelle tu veux ? » J’approche mon nez de la devanture : « Chambre Métro » (35 euros/h), « Chambre Geisha » (45 euros/h), « Chambre French Kiss » (55 euros), « Chambre Golden » (65 euros/h)… « Alors ? » me presse-t-il. Je lui demande de me promettre que ça ne va pas déraper. Il lève la main droite en me disant « Je le jure ». Je lève les yeux vers la réceptionniste qui discute avec l’homme de ménage. Je n’ai jamais franchi le seuil d’un love hotel auparavant. « Va pour la Geisha, alors… » je m’entends lui souffler.

Un univers encore inconnu

Cédric entre d’un pas résolu et salue la jeune femme qui semble l’identifier. « Je suis un habitué » me glisse-t-il en dégainant sa carte de membre devant une borne automatique semblable à celles de chez Burger King. Sur l’écran, il fait défiler les chambres. Mince, la Geisha est déjà prise. Il se décale pour me laisser choisir. J’aimerais bien faire péter la Golden, dotée d’une balancelle dorée à côté d’un lit king size, mais je n’ose pas. J’ai quelques scrupules à le ruiner, le pauvre. Je me rabats par défaut sur la Métro. « Bon choix » me glisse-t-il avant d’apposer sa carte sur le terminal. 

Je le suis au sous-sol de l’établissement. Le bruit de nos pas est étouffé par l’épaisse moquette noire qui tapisse le plancher. Des éclats de rire filtrent à travers les portes. « Tu vois, c’est pas du tout glauque », me fait Cédric en déverrouillant la porte de notre chambre avec son sésame. À l’intérieur, les murs sont carrelés des fameux rectangles biseautés. En guise de tête de lit, un panneau en métal bleu roi indique la station « LUXURE » dans la même typographie que le métropolitain. 

J’obéis comme si j’étais face à mon gynéco

Cédric m’intime de retirer mes chaussures et mon pantalon. J’obéis comme si j’étais face à mon gynéco. Je m’étends timidement sur le plumard en fixant le miroir du plafond. Dans le reflet, je le regarde ôter sa veste et son pull, dévoilant un torse glabre étonnamment musclé. Puis il vient s’agenouiller dévotement entre mes deux panards dont l’aspect, sous la lumière blafarde, me refroidit. Cédric ferme les yeux, prend une longue inspiration et commence à masser à sec. J’allonge le bras pour extraire de mon sac une crème L’Occitane. Mon masseur attrape ma pommade qu’il fait gicler dans le creux de ses paumes. Une senteur de lavande enveloppante se diffuse dans l’atmosphère. À mon tour, je ferme les yeux et m’abandonne.  

Une langue chaude et molle vient s’immiscer entre mon gros orteil et son voisin. Mon pied se cabre par réflexe, mais Cédric le retient : « Laisse-toi faire… » me susurre-t-il. Je fais de mon mieux pour apprivoiser cette nouvelle forme de plaisir. Tandis qu’il suce un à un, avec application, mes doigts de pied, sa main s’enhardit en pianotant à l’intérieur de mes cuisses… Je bascule ma tête en arrière dans un soupir et glisse une main dans ma culotte, prête à accueillir l’orgasme qui se profile. 

Surprise du chef

Soudain, un froissement de tissu me déconcentre. J’ouvre les yeux et découvre Cédric en train de tirer discrètement un petit rideau masquant une lucarne donnant sur la chambre voisine. Un grand noir est en train de besogner une petite rousse sur la fameuse balancelle. En nous voyant, ils s’arrêtent net, stupéfaits. Je fixe la rouquine comme une lapine prise entre les phares d’une voiture. Elle a bien dû mal elle aussi à comprendre ce qui lui arrive. Quant à son mec, il me lâche un grand sourire et nous fait signe de les rejoindre. Je lève la tête vers Cédric qui a l’air ravi de son effet de surprise : « Ça te dit ? » 

Je bondis hors du lit, ramasse mon froc et le reste

« Mais t’es malade !!! » D’un coup de talon, je repousse Cédric qui perd l’équilibre et se retrouve le cul sur la moquette. Je bondis hors du lit, ramasse mon froc et le reste, me rhabille en me confondant en excuses et m’enfuis. Je monte les marches quatre à quatre, repasse devant la réceptionniste sans lui adresser un regard et sors dans la lumière du jour. Avenue de l’Opéra, un car déverse son flot de touristes japonais. Je bouscule sans le vouloir une mère, un père et leur fille prenant la pose à l’aide d’un selfie stick. En m’éloignant, je ris en pensant à la silhouette de cette journaliste dépravée, que seule cette famille nippone aura su capturer.

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