Santé

Allô Giulia : « Je n’arrive pas à assumer ma nouvelle relation »

« Chère Giulia,

C’est fou, parce que j’essaie de vous écrire depuis des jours, mais je n’y arrive pas. Dès les premières lignes, j’efface. En fait, pile au moment où j’écris le prénom de mon amoureux. Il s’appelle Jordan, voilà. Et ça devrait suffire à décrire le problème. En tout cas, je vous laisse imaginer toutes les fois où je l’ai dit, et toutes les fois où on m’a ri au nez : Jordan, c’est naze, c’est beauf, ça sent le jogging/basket etc. Le fait est que je l’ai rencontré en salle de sport… Mais qu’à part ça, il s’habille comme tout le monde. Ou plutôt comme mes amis, que j’avais habitués à un autre type de profil : je bosse dans le milieu littéraire, j’ai fait de longues études universitaires, et jusque-là, j’étais plutôt abonnée aux mecs à lunettes. Ça fait cliché, mais c’est vrai.

Sauf que j’en ai eu marre d’être molle et de me sentir fatiguée tout le temps, donc je me suis abonnée à la salle de sport en bas de chez moi, où Jordan est coach. Et Jordan est sublime, et j’en ai marre des fesses plates. Ça, c’est ce que je me suis dit la première fois que je l’ai vu, et franchement, je ne pensais pas que ça irait plus loin. Sauf qu’on a pris l’habitude de discuter, tous les deux, et que j’ai aimé, chaque fois, ce que je découvrais : Jordan est un mec hyper doux, hyper empathique, tourné vers les autres – ça aussi, ça me change de mes ex, tellement nombrilistes… Alors on a commencé par prolonger avec un verre, après la séance de sport. Enfin, moi, je prenais un verre. Lui, un jus. Il ne boit pas. Ne fume pas non plus. Il suit encore moins l’actualité, et n’a pas ouvert un livre depuis la sortie de son bac pro. Bref, on est très, très loin l’un de l’autre…

Et pourtant, il y a cette attirance physique de malade, entre nous – qui va bien au-delà de la question purement physique, d’ailleurs : avec lui, je me sens bien, en sécurité, en confiance, comme je ne l’ai jamais été. Pour la première fois, je peux être moi. Il m’aime comme je suis, et il m’aime profondément. Au départ, je l’ai gardé juste pour moi, Jordan. On était dans notre bulle, pas question d’en sortir. Et puis je pressentais peut-être ce que diraient mes amis… Immédiatement, ils se sont méfiés : pourquoi un mec comme ça traînerait-il avec une fille comme moi ? Et moi, qu’est-ce que je foutais là ? J’allais me faire chier, notre histoire n’allait pas durer, on n’avait rien en commun, etc.

Au début, je ne les écoutais pas. N’empêche que je ne présentais pas Jordan à ma famille, j’avais beaucoup trop peur. Mais Jordan insiste pour les rencontrer, et il commence à sentir que quelque chose ne va pas. La dernière fois, il m’a dit : « en fait, tu as honte de moi ». C’est affreux… Mais il y a de ça. Et pourtant, je suis fière de nous, tellement ! De nous voir toujours dialoguer pour dépasser nos différences, de rire de ces différences, d’apprendre l’un de l’autre, de faire du chemin l’un vers l’autre… Sauf que, dès qu’on est confrontés au monde extérieur, je rebrousse chemin, justement. J’ai peur que tout ce qui nous sépare finira par nous séparer tout court. Vous pensez, vous, que mes amis ont raison ? Ce sont mes amis, depuis toujours, j’ai tendance à leur faire confiance… » – Mel, 32 ans

« Chère Mel,

Je pense, que les amis ont tort quand ils se permettent d’avoir un avis, et de donner des conseils : en général, ils nous parlent d’eux-mêmes, de leurs peurs, de leurs attentes, de leur mode de fonctionnement, plutôt que de nous et des nôtres. Entre eux et vous, ils ont mis un écran, qui, globalement, s’apparente à un bon ramassis de préjugés, et ils en ont occulté l’essentiel : qui vous êtes, vous, et le bien que, visiblement, Jordan vous fait. Si jamais, c’est d’eux que vous risquez de vous séparer, et peut-être que c’est ça qui vous fait peur : ça tient chaud, les amis, c’est vrai… Tant qu’ils sont là pour faire leur job : nous aimer, nous entendre, nous voir vraiment… Et ramasser nos dents le jour où on s’est pris un mur. Ah oui ! Et ce jour-là, ne jamais nous dire : « je te l’avais bien dit ».

Cette phrase ne servant strictement à rien, elle est à mettre à la poubelle avec toutes celles qui, sous prétexte de pseudo franchise, ne servent qu’à blesser l’autre. En revanche, avec de vrais amis, tout se discute. Et peut-être que cette discussion-là, vous pouvez l’avoir avec eux : de quoi ont-ils peur, eux, au fond ? Que vous les quittiez, en vous éloignant (un peu) de leur monde ? Voire, en tombant, tout simplement amoureuse…

Je pense aussi, Mel, que les histoires se vivent, se font, se nourrissent au présent, plutôt qu’elles ne s’écrivent pas anticipation. Rien ne permet à quiconque de prendre le moindre pari sur votre histoire avec Jordan. Est-ce que vous mourrez, main dans la main, à 98 ans, entourés d’une grappe d’arrière-petits-enfants ? Ou alors, est-ce que vous vous clasherez demain ? Personne ne le sait. Mais c’est bien ça qui fait le sel de l’amour : sa part d’inconnu, sa part de risque, qui le rend légèrement plus intéressant qu’un tableau d’amortissement de crédit. Vous deux, au moins, vous avez identifié très vite ce qui pourrait vous faire obstacle, et vous en parlez : c’est déjà pas mal.

Je pense enfin, Mel, que le plus compliqué reste toujours de trahir l’enfant qu’on a été, et les plans qu’on avait faits pour lui. On vous a peut-être laissée à penser, dès toute petite, que vous tomberiez amoureuse d’un prince à lunettes et lecteur fou, comme le sont sans doute pas mal d’hommes qui vous entourent… Et tout à coup, vous prenez ce beau virage à 180° : rien que ça, avant même de se parler de la destination, et de la vitesse à laquelle vous roulez, ça à de quoi vous chambouler. Parce que ça interroge vos croyances, votre éducation, votre héritage : une part non négligeable de celle que vous êtes aujourd’hui. Mais sans la renier, vous avez le droit de tracer votre route à vous, non ? »

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