Santé

C’est mon histoire : « Je n’étais pas enceinte du bon »

J’ÉTAIS DEVENUE EXACTEMENT celle que je ne voulais pas être

C’est mon désir d’enfant qui nous a séparés, je pense. Et sa lâcheté n’a pas aidé… J’étais avec Martin depuis notre première année de fac. Nous sommes tombés amoureux en amphi et nous ne nous sommes plus quittés. Entre nous, tout était simple. Fluide. Sans nuages. Mais, la trentaine passée, l’horizon a commencé à s’assombrir : je voulais un enfant, l’enfant ne venait pas, et Martin était de moins en moins là. Quand il rentrait, le soir, après une énième réunion à rallonge, galère de transport, verre avec un pote dépressif… je lui tombais dessus, triste, déçue, en colère. En vrai, même moi je n’aurais pas aimé me retrouver le soir : j’étais devenue exactement celle que je ne voulais pas être, pleine de reproches et d’aigreur. Et puis j’étais inquiète, je reniflais ses vêtements, fouillais dans son téléphone, écoutais ses conversations, persuadée qu’il me trompait…

J’avais raison. Évidemment, je suis tombée sur le texto que je cherchais, évidemment, ses excuses ont été pathétiques, évidemment, je l’ai foutu dehors. Je n’étais toujours pas enceinte et j’étais folle de rage face au temps qu’il m’avait fait perdre. Car quelques mois plus tôt, j’avais fait des analyses. Mon gynéco avait été très clair : « Vous avez une chance infime de tomber enceinte, et encore, si vous la saisissez maintenant ! » Mais maintenant, Martin avait pris la porte, et moi, j’étais célibataire pour la première fois depuis le lycée. Complètement larguée, j’ai écouté les conseils des copines, et je me suis inscrite sur une appli de rencontre.

MA GROSSESSE ENTRE DANS SON TROISIÈME MOIS… quand Martin refait surface

J’ai détesté. Draguer me fait flipper, je n’ai jamais su me vendre et j’avais la drôle d’impression d’être une bête de concours. Heureusement, je tombe assez vite sur Thomas, « amoureux du grand air, passionné par les fonds marins ». Ça, c’était un signe : née au Pays basque, la seule chose qui manquait à ma vie parisienne, c’était l’océan. Je me suis jetée dans cette nouvelle histoire un peu comme j’aurais attrapé ma planche de surf : je regarde devant, j’oublie la douleur, je fonce… Et Thomas sait me réceptionner. Me donner un double des clés de chez lui, me présenter sa mère, son père, ses amis ? Même pas peur. Au fond de moi, quelque chose me dit que tout va trop vite, que je ne suis pas prête, que mes blessures saignent encore… Mais Thomas est convaincu pour deux, le doute, lui, il ne connaît pas. Moi, si, face à ces deux petites barres violettes qui apparaissent sur mon test de grossesse.

C’est un dimanche matin, Thomas dort encore, et moi, je suis enceinte – aussi improbable, fou, miraculeux que ça puisse paraître. Je suis sidérée. Thomas entre dans la cuisine deux heures plus tard, je n’ai pas bougé. Du bout des lèvres, je le lui dis. Lui, au moins, saute de joie: « Mon amour, c’est merveilleux ! Je sais, je sais, ça va vite. Mais ce bébé doit savoir qu’il va être très heureux avec nous s’il est déjà là, non ? » Euh… J’envie ses certitudes. Alors je passe les jours qui suivent à tenter de les absorber. Après tout, j’ai toujours voulu un bébé. J’aurais pu ne jamais en avoir. Thomas est vraiment adorable. C’est une belle revanche sur la vie. Ces phrases, je me les répète en boucle et l’été se termine sur une jolie promesse : Thomas, le bébé et moi formeront enfin la famille dont j’ai toujours rêvé. Il n’y a qu’à voir la jolie chambre qu’il est en train de lui installer… Moi, je passe beaucoup de temps à dormir ou à pleurer. Ça glisse sur Thomas, les hormones ont bon dos et cet homme est un rocher.

J’ai beaucoup trop morflé, il ne m’aura pas

Sauf que le destin a décidé d’être joueur avec moi : ma grossesse entre dans son troisième mois quand Martin refait surface. Nous n’avions pas échangé un mot depuis notre rupture, près d’un an plus tôt. Sans que je m’en rende compte, son silence était devenu assourdissant. L’absence prenait toute la place. C’était ce vide qui me faisait pleurer, moi qui étais si pleine… Mais là : « J’ai besoin de te voir. » Je relis son texto dix fois, je vois flou, j’ai la tête qui tourne. Je pose, je reprends et je repose mon téléphone. Que lui dire ? Que je le hais ou qu’il me manque terriblement ? Que je voudrais me blottir dans ses bras ou les lui arracher ? Montagnes russes émotionnelles toute l’après-midi, et puis… « Besoin ». Ce mot-là me fait tilt. Martin a besoin, Martin exige. Martin disparaît, Martin réapparaît. Je relève la tête: j’ai beaucoup trop morflé, il ne m’aura pas. Presque sereine, je réponds, quelques heures plus tard : « O.K., Martin. Et moi, j’ai besoin de vivre ma vie. C’est jouable la semaine prochaine, à l’heure du dej. Lundi, si tu veux. » 

COINCÉE ENTRE LES DEUX, je perdais pied

Quatre jours plus tard, il est là, devant la double porte battante. À contre-jour, il ne me voit pas. Moi, je vois qu’il n’en mène pas large. J’y vais. Une bise, maladroite, il rougit jusqu’aux oreilles – et moi aussi. On marche, raides, gênés, jusqu’à la première terrasse venue. Puis Martin se lance, d’une traite : « Je te demande pardon. Je me suis comporté comme le dernier des cons. J’avais peur. Peur de ne pas être à la hauteur de cet enfant, peur de ne pas réussir à être le père que tu rêvais que je sois, peur de perdre la femme de ma vie… Peur de nous perdre. Alors j’ai pris la tangente. Et la première occasion a été la bonne. Après, je crois avoir tout fait pour me faire gauler. Un peu comme si j’avais mis les doigts dans une prise électrique, tu vois ? » Oui, je voyais bien. Et je voyais bien les larmes lui monter aux yeux. Les miennes auraient pu suivre de près, mais je les ai ravalées : « Je suis enceinte, Martin. » Point. Je n’ai rien trouvé d’autre à dire.

Mais avorter, contre toute attente, a été un immense soulagement

J’avais un immense gâchis sous les yeux et il était trop tard, beaucoup trop tard, pour les regrets. Je me suis levée. J’ai déposé un baiser sur son front, puis je suis partie. J’ai pleuré toute la soirée, mais Thomas avait l’habitude, alors il ne m’a posé aucune question. Il a continué de monter le berceau en sifflotant, je l’aurais pilé. Les semaines suivantes ont été atroces. Thomas était toujours dans sa bulle, sans se rendre compte que je n’y étais plus avec lui. Martin ne semblait rien vouloir entendre non plus : je l’aimais toujours, il l’avait senti, il élèverait cet enfant comme le sien, et il m’en ferait d’autres, tous plus beaux les uns que les autres – ses messages étaient sans limites. Moi, coincée entre les deux, je perdais pied. « Barre-toi, m’a conseillé ma si précieuse amie Sandra. Une semaine, dix jours, tant que tu veux : tu te barres, tu vas dans un endroit sans bruit, et tu t’écoutes, toi. » C’est ce que j’ai fait. Mon médecin m’a arrêtée, et je suis partie me réfugier chez une amie de ma mère, dans le Lot. Catherine ne pose aucune question, et, du moment qu’on ne l’emmerde pas, on peut rester chez elle tant qu’on veut.

J’en suis repartie deux semaines plus tard, après avoir fait le compte de mes certitudes : je savais que j’aimais beaucoup Thomas, mais que je ne l’aimais pas, et que dans mes rêves de gosse, la princesse était très, très amoureuse du prince. Je savais que j’étais tombée enceinte une fois, que le corps humain est très mystérieux, et que ça pouvait donc m’arriver de nouveau. Que, oui, c’était un coup de poker, mais que la vie était une immense partie de bluff. Que, plus fort que tout, plus fort que moi, c’est sur Martin et moi que j’avais envie de parier. Qu’avec lui, j’étais à ma place, avec ou sans enfants, et que c’était comme ça. Le jour où j’ai pu envisager une vie sans bébé, mais avec Martin, j’ai su que je pouvais rentrer chez moi. Quitter Thomas n’a pas été facile, bien au contraire. Mais avorter, contre toute attente, a été un immense soulagement. Cinq ans et deux enfants plus tard (avec le père que je voulais pour eux, Martin), je peux le dire : je ne l’ai jamais regretté.

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