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Disputes sur les réseaux, en couple ou entre amis : quels en sont les mécanismes ?

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Attention, changement d’arène ! Après des années à se disputer sur Twitter, lieu de la joute verbale par excellence, les internautes migrent désormais en masse vers le réseau social Mastodon. En cause, le rachat de la plateforme à l’oiseau bleu par Elon Musk, qui surveille désormais la moindre conversation. Mastodon accueillera-t-il mieux nos engueulades ? Nul ne le sait encore. Le goût de l’époque pour la dispute est partout, et particulièrement sur les réseaux sociaux. La preuve avec Mishu.im, une application israélienne façon Tinder, qui propose de s’engueuler avec des inconnus… juste pour le plaisir. Le philosophe Maxime Rovere s’en amuse. Déjà auteur du best-seller « Que faire des cons ? », il s’interroge dans un nouvel essai* : pourquoi et contre qui se dispute-t-on ? Un livre entre analyses, récits de vie et précis de sagesse (mais pas trop !). Entretien.                

ELLE. Que disent les réseaux sociaux de notre besoin d’en découdre ?                

MAXIME ROVERE. Notre époque reste avide de vitesse, donc de discours brefs. Mais moins on s’explique, plus les malentendus et les conflits sont nombreux. Les réseaux sociaux capitalisent là-dessus : ce sont des pièges à attention qui nous hypnotisent et nous attachent à des émotions fortes. L’accélération des échanges transforme les dialogues en pur jeu de pouvoir, ce qui peut être satisfaisant quand on se sent totalement impuissant.              

ELLE. Pourquoi un essai sur la dispute ?              

M.R. J’avais envie d’interroger ce phénomène de société à partir de nos comportements. Comment, dans une relation où l’on est plein de bonnes intentions, on se retrouve à faire souffrir ses proches, et parfois soi-même ?                

ELLE. Est-ce que la plupart des disputes pourraient être évitées ?               

M.R. Déjà, tout ce qui est violences physiques est inacceptable et relève du pénal. En revanche, tout ce qui n’est pas du harcèlement se trouve dans une « zone floue », où la philosophie morale a quelque chose à dire. Dans un couple, par exemple, une dispute superficielle peut être un mode de communication, mais si elle est profonde c’est que quelque chose essaie de se dire. Or l’amour, ce n’est pas fait seulement pour partager de bons moments. C’est aussi s’aider les uns les autres à explorer nos brèches pour qu’elles cessent d’être douloureuses.                                                                                                                                           

ELLE. Vous écrivez, d’une part, que les disputes n’ont pas de causes et, d’autre part, qu’il n’y a pas un seul responsable : on se dispute à deux ?                

M.R. Les disputes s’autoalimentent. Bien sûr il y a toujours quelqu’un qui a commencé, mais à partir du moment où vous réagissez, vous êtes coresponsable de ce qui se passe. Dans une dispute, il n’y a pas de corrélation entre l’intensité des causes et des effets : les effets sont beaucoup plus intenses que les causes parce que des facteurs supplémentaires interviennent de manière aléatoire. Ils alimentent le tourbillon de leur propre énergie jusqu’à ce que l’ensemble devienne hors de contrôle. Autrement dit : ce n’est pas parce qu’il y en a un qui démarre qu’il est la « cause » de ce qui va se passer ensuite.              

ELLE. Au cœur de la dispute, il y a la peur d’être remis en cause, effacé, nié…             

M.R. C’est plus qu’une peur, il arrive qu’on soit nié ! Celui qui parle pense : « Ce que je dis n’est pas écouté, mon émotion n’est pas entendue, ma personne n’est pas respectée, l’autre ne voit pas que j’existe, il est en train de me nier. » Il y a un effort pour être compris, on est déçu, on s’entête et à la fin on devient fou, puisque, in fine, « faut que ça sorte » : et on ne sait même plus de quoi on parle.              

Lire aussi >> Disputes de couple : elles ont trouvé le moyen de les éviter et nous racontent

ELLE. Ni ce qu’on pense, d’ailleurs !               

M.R. Oui. On se retrouve « hors de soi », parce qu’on essaie de placer sa propre existence dans la reconnaissance de l’autre qui, au même moment, est en train de faire la même chose, et se sent tout aussi incompris et nié.            

ELLE. C’est ce que d’autres appellent notre besoin de reconnaissance ?                

M.R. Oui, et si on acceptait mieux le fait que nous ne savons pas vraiment qui nous sommes, les choses seraient moins intenses. Mais comme nous nous donnons des identités à défendre, évidemment, cela fait naître des conflits. Or, c’est un peu pénible à admettre, mais il y a toujours quelque chose de nous que l’autre voit mieux. Dans ce qui nous définit, il y a nos proches.              

ELLE. Vous dites qu’il ne faut pas craindre de montrer sa vulnérabilité…             

M.R. La raison pour laquelle on se culpabilise les uns les autres tient en trois points. 1) C’est toi qui me fais mal. 2) Tu le fais librement. 3) Donc, il n’appartient qu’à toi d’arrêter ce désastre. Tout est faux dans cette séquence. Si vous ne vous sentez pas écouté, c’est qu’il y a une vulnérabilité partagée. D’un côté, vous avez des difficultés à vous faire comprendre ; de l’autre, il ou elle a des difficultés à vous entendre. Revenir à cette vulnérabilité partagée, c’est accepter que ce qui nous fait mal ne vient de nulle part ailleurs que de nos brèches. C’est contre-productif de l’attribuer à quelqu’un comme une faute.                

ELLE. Dans le dernier chapitre, vous proposez de mettre à profit ce chaos intérieur pour se réformer, pour changer…               

M.R. Ce que démontre la philosophie, c’est que l’être humain a la capacité de se réformer, mais cela suppose de l’engagement : vos souffrances ont besoin que vous les regardiez.                

ELLE. La dispute pourrait donc être une opportunité ?             

M.R. C’est une opportunité, et si on la laisse passer, ce n’est pas grave, elle repassera [Rires.] ! Pas besoin de se culpabiliser, de se dire « j’aurais pu faire ceci ou cela », car les événements qui arrivent ont des causes : ils sont déterminés socialement, biologiquement, etc. Donc, il faut saisir sa propre vie au point où l’on en est, et non repartir dans le passé. Le conditionnel, ça ne sert à rien. Ce qui sert, c’est de comprendre les déterminismes : pas pour les changer, mais pour les naviguer.

                                            

* « Se vouloir du bien et se faire du mal. Philosophie de la dispute » (Flammarion).

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