Santé

En couple ou en solo, l’escalade comme thérapie : « Toutes les questions existentielles s’y retrouvent »

« L’ escalade est une pratique inclusive, féministe, sans jugement ni arbitre. » Voilà̀ comment Ghislain Brillet, président de l’Union des salles d’escalade explique l’attrait pour ce sport. Environ 2 millions de personnes pratiquent l’escalade en France et le nombre de salles franchisées comme Climb Up, Arkose, Block’Out et Vertical’Art explose, passant d’une cinquantaine il y a 10 ans à̀ 250 aujourd’hui.

Un sport accessible à toutes et tous, peu importe sa force musculaire, son âge ou sa morphologie, c’est aussi une discipline unique selon lui : « C’est un sport aux difficultés subjectives qui dit beaucoup de nous, de notre confiance en soi et en l’autre ». Et ce, notamment en voie : « ce lien, ce cordon ombilical, qui nous lie à une autre personne qui a notre vie entre ses mains implique de bien la connaître, d’avoir confiance en elle et en nous-même », explique Ghislain Brillet. Car si l’escalade dite « de bloc » se pratique seul, sans être attaché, jusqu’à̀ 4 à̀ 5 mètres, la « voie » nécessite d’être assuré par un baudrier et une corde tenue par son partenaire resté au sol.

Pour Benoît Foujols, l’escalade de voie a même des vertus thérapeutiques : « C’est le seul sport où tu es obligé d’être à̀ deux. Et le moi et l’autre, c’est justement toutes les problématiques qu’on retrouve dans un cabinet ».

Le moi et l’autre, c’est justement toutes les problématiques qu’on retrouve dans un cabinet

Ce thérapeute basé à Paris est passionné d’escalade. Moniteur depuis 8 ans, grimpeur depuis ses 12 ans, Benoît Foujols entame sa reconversion professionnelle de l’ingénierie vers la psychothérapie en 2015. L’idée de lier sa passion à son nouveau métier s’impose alors assez vite. Car au contact de ses élèves, il observe les liens entre escalade et problématiques personnelles : « j’ai eu l’opportunité de réunir des gens pour des cours d’escalade mais c’est devenu de la thérapie. C’était un défouloir inconscient pour eux. »

Il y a 4 ans, il ouvre un cabinet à Paris avec sa consœur Elisa Monnet, qui a quitté le milieu de la communication pour la psychothérapie. Ensemble, ils proposent des thérapies de couple, dans un premier temps, seulement en cabinet puis après le Covid, en salle. Il a d’abord fallu que sa consœur soit convaincue par son approche.

Elle n’est ni grimpeuse, ni sportive, dit avoir mis du temps avant de « saisir l’ampleur de l’escalade », mais lorsque Benoît Foujols l’emmène sur un mur en voie, elle a un déclic. « J’ai été très surprise. Et pourtant, j’en ai fait des années de thérapie ! » plaisante-t-elle. « Mais la question du corps, c’est vraiment autre chose. Benoit m’a dit que j’allais monter à 11 mètres, je me suis dit « impossible, j’irai à 6 mètres et ça sera déjà très bien ». Finalement j’ai réussi mais ça a exposé le fait que je me contente de moins, de peur de ne pas réussir à faire mieux », confie-t-elle.

Le naturel revient au galop

« Comme c’est un sport qui fait appel à la peur, le naturel revient au galop. », souligne Benoit Foujols. Un naturel qui s’exprime d’autant plus clairement que l’on est concentré sur une activité – sur le fait de grimper – donc nos mécanismes de défense et notre masque social peuvent tomber. A certains couples, ils leur proposent donc un rendez-vous en salle de voie. « On va observer le couple qui est focalisé sur le fait de bien faire. On peut voir comment ils communiquent en zone de stress », explique la thérapeute.

Et justement, pour Lili* et Maxence*, c’est la naissance de leur fille il y a deux ans qui a compliqué la communication au sein de leur couple. Lorsque leurs thérapeutes leur proposent d’aller faire de l’escalade au bout d’un an de thérapie, Lili trouve ça « complètement incongru et incroyable à la fois ». Ils ont fait deux séances d’une heure et demie en parallèle de leurs rendez-vous en cabinet. Dès la première fois, elle est frappée de voir le manque d’écoute entre eux : « Pardonne-moi Max, mais je me suis rendue compte que j’avais du mal à t’écouter et à te faire confiance quand tu me donnais des indications ou que tu m’encourageais », adresse-t-elle à son mari.

On va observer le couple qui est focalisé sur le fait de bien faire. On peut voir comment ils communiquent en zone de stress

Maxence, lui, raconte qu’il était « concentré et à fond » et ne pensait pas à la thérapie pendant que sa compagne l’assurait. Mais pour Lili, l’expérience est riche en symboles : « Moi j’avais un peu peur que tu tombes, je n’étais pas très sécurisée, je peux l’avouer. Je crois que j’aurais voulu faire à ta place en fait, comme si je savais mieux faire, finalement je voulais te contrôler quoi » explique-t-elle dans un éclat de rire.

Ces séances d’escalade ont éclairé les problématiques personnelles de ces deux trentenaires. Ça a été un « coup de pouce », selon Maxence qui a pu comprendre la colère de sa femme et entamer un dialogue. « Je voulais l’aider et la sécuriser alors qu’elle voulait me montrer qu’elle pouvait tout faire toute seule. J’avais besoin qu’elle me laisse de la place et d’avoir l’impression d’être utile au sein de notre couple, surtout depuis la naissance de la petite, mais Lili croyait que ça la rendait dépendante et vulnérable ! », résume-t-il.

La corde comme symbole de notre relation à l’autre

La voie, grâce à la corde, permet d’aborder la question de la confiance en l’autre de manière beaucoup plus efficace qu’en cabinet. Et nul besoin d’être en couple pour explorer cette problématique. Benoit Foujols propose également à certaines de ses patientes quelques séances d’escalade, pour « relancer la thérapie », comme il dit.

« Si je vois qu’une patiente qui grimpe ne me fait pas confiance quand je l’assure, je peux la confronter. Elle peut nier, ou bien s’effondrer et m’avouer que c’est quelque chose de très compliqué pour elle. Cette porte aurait pu être ouverte en cabinet bien- sûr, mais ça aurait pris beaucoup plus de temps que sur un mur, car le corps est en jeu », raconte-t-il.

Le thérapeute a mis au point plusieurs protocoles pour aborder 5 problématiques différentes : couper la corde pour voir à quel point elle est solide et mettre fin à tout fantasme d’insécurité, grimper en étant assuré pour tester sa confiance en l’autre, assurer à son tour pour découvrir notre rapport aux responsabilités, lâcher prise (littéralement), grimper en tête, c’est-à-dire s’assurer soi-même, pour faire l’expérience du danger.

Un protocole qu’il adapte selon les patientes et dont certains exercices sont particulièrement pertinents pour les personnes qui souffrent de troubles du comportement alimentaire (TCA), selon Benoit Foujols. « Les troubles du comportement alimentaires sont liés à une carence émotionnelle, à un vide qu’on viendrait combler », relève le thérapeute. L’escalade de voie permet selon lui d’explorer notre rapport à l’autre, de pointer un éventuel problème relationnel comme c’est souvent le cas chez les personnes qui souffrent de TCA.

Les troubles du comportement alimentaires sont liés à une carence émotionnelle

« Je faisais déjà de l’escalade avec mes amies. L’idée de l’appliquer à mes séances de psy, m’a semblé étrange car pour moi c’était un sport pour me défouler et m’arrêter de penser », raconte Pauline*, 36 ans, une ancienne patiente de Benoit Foujols qui souffre d’anorexie depuis ses 16 ans. Dès la première séance avec son thérapeute, sa vision de l’escalade et d’elle-même change. « Ma suradaptation à l’autre était flagrante et je n’acceptais pas d’entendre des compliments. » L’escalade lui fait aussi prendre conscience de son rapport au vide : « J’ai détesté mon corps, jusqu’à l’anesthésier de blessures. Je me sentais vide de l’intérieur. »

Pendant un peu plus de deux ans, Pauline cumule 4 séances en cabinet et une en salle d’escalade tous les mois. Les séances sont intenses émotionnellement « J’ai eu des séances éprouvantes, avec des prises de conscience telles que je pensais que j’allais m’effondrer. Mais l’escalade, c’est apprendre à remonter la pente – le mur – et ça montre que la vie est faite d’imprévus qu’il faut savoir gérer avec ses ressources… Tout en restant en relation avec l’autre. Et ça été mon plus gros travail ! », se souvient-elle.

Pour les deux thérapeutes aussi, ce parallèle entre l’escalade et la vie est évident :

« Quand tu grimpes, ça dit beaucoup de ta manière d’avancer dans la vie. Et ça peut être surprenant de le vivre sur un temps court, c’est très confrontant : comment abordes-tu le changement ? Est-ce que tu aimes aller au bout ou bien est-ce le chemin qui t’importe ? Est-ce que tu oses ou bien est-ce que tu regardes derrière ? Toutes les questions existentielles se retrouvent dans l’escalade. » concluent-ils.

* Les prénoms ont été modifié.

Continuer la lecture

close

Recevez toute la presse marocaine.

Inscrivez-vous pour recevoir les dernières actualités dans votre boîte de réception.

Conformément à la loi 09-08 promulguée par le Dahir 1-09-15 du 18 février 2009 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel, vous disposez d'un droit d'accès, de rectification, et d'opposition des données relatives aux informations vous concernant.

Afficher plus
Bouton retour en haut de la page