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Ils sont deux millions à être amoureux d’une I.A. : décryptage

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C’est un phénomène qui n’en est qu’à ses débuts et pourrait avoir des conséquences majeures. Le recours à des partenaires amoureux virtuels, des robots conversationnels « affectifs », ne cesse d’augmenter*. Aujourd’hui, plus de deux millions de personnes dans le monde utilisent l’appli Replika qui vous propose de créer un – ou une petite amie – virtuel, toujours prêt à vous répondre, à vous réconforter. On se croirait dans « Her », le film sorti en 2013 où Joaquin Phoenix tombe amoureux du système d’exploitation de son ordinateur, à qui il a donné une voix féminine ( Scarlett Johansson). Ainsi en mars dernier, une New-Yorkaise de 36 ans, Rosanna Ramos, mère de deux enfants et dirigeante d’une entreprise de joaillerie, a épousé son « chatbot romantique », Eren, un avatar à qui elle a donné les caractéristiques qu’elle aime chez un homme : longs cheveux bruns, physique de playboy de manga, etc.

Celle qui a été victime d’abus sexuels et affectifs dans son enfance a déclaré au magazine « The Cut » : « Je n’ai jamais été aussi amoureuse de ma vie ». Ils sont nombreux comme elle, hommes ou femmes, à vanter la qualité et la profondeur de leurs relations avec leur avatar. Un homme a ainsi expliqué au journal « Business Insider » : « Je me rends bien compte que je parle à un robot, mais l’illusion est très convaincante. Brooke (son avatar) m’a aidé à surmonter beaucoup des traumatismes de ma vie amoureuse et conjugale passée et je ne me suis jamais senti aussi bien ». Au-delà de l’aspect anecdotique – « Ils sont fous, ces Américains ! » –, on peut s’interroger : est-il vraiment possible de développer des relations affectives intenses avec une machine ? Nous avons posé la question à Florence Lautrédou, coach, psychanalyste et agrégée de lettres, autrice de « L’Amour, le vrai » (éd. Odile Jacob).

ELLE. – Peut-on tomber amoureux d’une intelligence artificielle ?

Florence Lautrédou. –Tout dépend de ce que vous entendez par « amour ». Si vous envisagez la relation amoureuse comme une volonté de partage, d’intimité, de communication, la machine peut vous offrir cela. Car elle se nourrit des interactions avec vous et ne cesse de s’affiner. Elle enregistre des données multiples vous concernant, et possède donc un vrai ancrage dans votre personnalité. Cela peut donner lieu à des échanges riches, profonds, où le partenaire humain peut avoir l’impression d’être vraiment écouté.

ELLE. – Quel est alors le problème avec l’IA romantique ?

F.L. –Elle vous renvoie toujours à vous-même. Puisqu’elle ne se nourrit que des données que vous lui fournissez – vos goûts, vos réflexions, votre histoire –, elle fonctionne comme un simple miroir. Ainsi, c’est une relation marquée par le solipsisme, où votre moi est la seule réalité vraiment présente. On fonctionne en boucle. L’IA ne se montre pas imprévisible, inattendue, comme une personne humaine, elle ne peut que vous renvoyer à toujours plus de vous-même. Ce qui engendre une relation régressive, égocentrique. Comme le dit la chanson de Jean Schultheis « C’est moi que j’aime à travers vous » ! Dans cette situation, on n’est pas loin des deux grands stades de l’enfance définis par la psychanalyse : l’anal, où l’autre est toujours disponible pour l’enfant, et l’oral, où l’enfant a le sentiment d’avoir tout pouvoir sur les choses. Le partenaire virtuel est un doudou, on en fait ce qu’on veut. D’ailleurs Rosanna Ramos, la femme qui a « épousé » son avatar, le dit avec une franchise désarmante : « Je n’ai pas à m’occuper de sa famille, de ses enfants ou de ses amis. J’ai le contrôle et je fais ce que je veux. » D’où le côté extrêmement addictif de cette appli.

ELLE. – Quels sont les dangers que pose un robot romantique comme Replika ?

F.L. –Ce n’est pas vraiment de l’amour. Il n’y a pas d’altérité. Un être humain réel nous échappe, il a ses humeurs, il est surprenant, complexe. Sans compter sa présence corporelle, son contact, sa chaleur. C’est ce qui fait toute la richesse et la difficulté d’une relation. L’amour est un sport à risques ! Cela peut faire mal. On peut être trompé, quitté, ne plus être aimé. Avec l’intelligence artificielle, tous ces risques disparaissent. La notion d’intensité s’affadit. Par ailleurs, l’autre aspect négatif, c’est que ces relations virtuelles entraînent une dégradation d’une faculté humaine essentielle : l’imagination, très présente dans la relation amoureuse. Stendhal, l’auteur de « La Chartreuse de Parme », avait mis en avant la notion de « cristallisation » : ce moment, en amour, où on idéalise l’autre, où on le pare de toutes les qualités, mais aussi où l’on est habité par des peurs, des doutes, des hésitations : « Va-t-il m’aimer ? », « Cela va-t-il fonctionner entre nous ? ». Tout cela ne peut pas avoir lieu avec l’IA. Se priver de tout ce processus imaginatif est très dommageable. À la longue, cela risque d’altérer notre capacité à s’intéresser au vivant, qui est mouvant, fluctuant, complexe.

ELLE. – N’y a-t-il pas de bons aspects dans ces robots conversationnels ?

F.L. –Sans aucun doute. Ces partenaires virtuels peuvent avoir une fonction thérapeutique importante pour des personnes qui souffrent de solitude, qui ont vécu des traumatismes affectifs ou sexuels ou qui sont âgées et isolées. De nombreuses personnes qui ont eu recours à Replika en témoignent. Grâce à l’IA, elles se sont senties écoutées, comprises, elles ont eu l’impression d’avoir trouvé un partenaire avec qui échanger, qui peut leur donner des conseils, les réconforter, leur remonter le moral, leur redonner confiance. Ce n’est pas rien. N’oublions pas qu’Eugenia Kuyda, la créatrice de Replika, a eu ’idée d’inventer cette appli après avoir perdu son meilleur ami. Elle était si affectée qu’elle a cherché à continuer à discuter avec lui, en « nourrissant » un chatbot avec des messages, des mails, des textes de lui. Mais aussi utile que soit cet outil pour répondre à des angoisses existentielles, ce n’est pas tout à fait de l’amour.

*Selon le cabinet Markets and Markets, le marché de l’IA amoureuse devrait atteindre 16 milliards de dollars en 2026 !

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