J’ai testé une journée en nouvelle masculinité

3H45

Réveil en pleine nuit et en pleine conscience. Je suis le collier Cartier de Timothée Chalamet, je veux passer ma vie pendu à son cou, ma valeur est inestimable.

3H46

Hier soir, les filles de ELLE m’ont forcé à boire du vin naturel. Résultat, je fais des rêves d’une interprétation simpliste, à faire bâiller d’ennui Freud. Redonnez-moi des sulfites.

8H30

Texto groupé aux vouivres sus-citées: « Moi aussi je veux m’habiller en nouvelle masculinité. Il n’y a pas d’âge pour être à la page, pas de genre pour porter un col Claudine. »

8H38

« Édouard, peux-tu nous en dire plus sur ton projet, avant de descendre dans le métro et dans notre estime ? »

9H03

« En 2024, je veux avoir autant de style que Harry Styles. Je veux porter des hauts à sequins, des dos-nus, des choses très habillées mettre du vernis à ongles, toucher du doigt la modernité. »

9H30

Silence de la rédaction. 9H45 Je laisse un message sur le WhatsApp familial : « Ça dérange si, côté héritage, je pré-empte le collier de perles de Mamy ? »

10H02

Réponse:« Ce n’est pas parce que tu es gay que tu dois forcément te déguiser le 31. Viens comme d’habitude, à peu près BCBG. »

10H07

Je riposte fissa : « Le look “nouvelle masculinité” n’a rien à voir avec la sexualité – Timothée et Harry tombent les filles comme personne. Il s’agit de s’amuser avec le genre. La mode est un jeu. » 10H09 Réponse de ma mère : « Tu as passé l’âge de jouer, mon fils… Mais va pour le collier de perles. Passe le chercher quand tu veux. »

10h12

« Merci Maman. Et t’inquiète, tout va bien, c’est juste pour être comme Timothée et Harry. »

10H14

« C’est qui, ces deux-là, encore ? Tu t’es lancé dans un ménage à trois ? En “trouple”, comme vous dites dans ELLE ? »

10H26

Si seulement…

10H29

J’ai les clés de chez ma voisine, Serena, dont je nourris parfois le chat. Elle a une penderie de malade, et le cœur sur la main.

10H32

J’essaie tout. Le pantalon taille haute ? Pas mal. Le chemisier lavallière ? Je suis Marie-France Garaud. Le pull jacquard sans manches ? Mince, on dirait mon père en 1976. Le petit sac à main ? Banco ! Jacob Elordi, l’acteur canon de la série « Euphoria », en a toute une collection.

10H34

Le chat me regarde de travers, je suis droit dans mes bottes. Enfin… dans celles de ma voisine.

10H55

Je reste en arrêt devant une veste rose, très proche de celle signée Tom Ford, portée à même le torse par mon nouvel ami Timothée.

11H00

Il y a un problème de poils.

11H03

Que ce soit sur BHL au Flore ou Timothée sur tapis rouge, pour porter une veste sans rien en dessous, il faut être glabre. C’est Noël, j’ai les boules… Il n’y a pas de miracle.

11H09

Si ! Là! Les bandelettes de cire de ma voisine.

11H45

« Maman, je me suis brûlé, pas au troisième degré, hein… Mais je mets quoi ? De la Biafine ? »

11H49

« Il fait froid, mets un pull bien chaud et va travailler, mon fils. »

12H34

Je suis prêt. Pantalon extra-large, blouse en soie, broche vintage, un collier camée, un petit gilet qui m’arrive au nombril, mon grand manteau marine.

12h45

Je marche dans la rue, j’aperçois mon reflet dans la vitrine de la boulangerie. Je suis gonflé d’orgueil comme une brioche.

12H52

Personne ne se retourne sur moi. Déception. Bon, il faut dire, j’habite dans le Marais. Ils en ont vu d’autres…

13H04

Légère hésitation devant la bouche de métro. J’appelle un Uber.

13H12

La voiture arrive, le chauffeur me salue, un peu hésitant : « Bonjour monsieur dame. » Je ne peux pas lui en vouloir. La nouvelle masculinité, ça prend du temps pour infuser.

13H36

Levallois-Perret, je file à la cantine de ELLE. Je me fais un plateau de routier : assiette de charcuterie, steak- frites, camembert, flan. Pour faire virilité.

13H37

Assumer, ce n’est jamais complètement gagné. Courage, mon gars !

13H38

J’arrive à table. Aucune réaction. Il y a de la galette des Rois, c’est tout ce qui intéresse les filles. Je m’en fous, je suis un prince.

14H30

Réunion avec toute l’équipe. Véronique, la directrice qui m’a quasiment vu naître et connu « hétéronormé », me félicite. Brune, la rédactrice en chef mode, gardienne du bon goût de notre journal, est plus… nuancée, Jean-Charles, le secrétaire général de la rédaction, très sportif alpha, me demande si la fashion week a déjà commencé. Mathilde, la plus jeune d’entre nous, m’invite direct à une soirée Darladi Dalida.

16H02

Je croise dans l’ascenseur deux journalistes de « Marianne », un titre qui appartient au même groupe que ELLE. Comment dire… Disons qu’ils sont moins rompus à la question chiffons. Mais je sens tout de même une connivence… universaliste ?

16H04

La nouvelle masculinité, c’est politique. C’est être tous différents dans la même république du style.

16H45

Au point où j’en suis, autant viser l’excellence. Je veux du vernis à ongles. Élisabeth, la rédactrice en chef beauté, ne plaisante jamais avec les détails : on met une heure à choisir la teinte idoine. On s’arrête sur un grège. C’est bien, c’est brut, ça contraste.

17H45

Je passe voir Caroline, la directrice artistique. On est vêtus exactement pareil. Un peu en néo-bourgeoise, un poil arty. Tom, le directeur de la création, un Anglais qui s’habille toute l’année en short et sweat-shirt Adidas noirs, me dit que je ressemble à la princesse Anne. Ça me va.

18H50

Pour me remettre de mes émotions, je fais un stop au M, le café d’en bas. Il y a une bande qui travaille chez « Public », spécialiste du people. Là, ça va vite : « Pas mal, ton look Timothée Chala-mémé!»

20H30

Dans une librairie parisienne, mon ami Stéphane Bern dédicace son nouveau livre. Il me demande pourquoi je me suis habillé comme Louis de France. Je fais mine d’avoir la référence. Promis, pendant les vacances, je me refais tous les « Secrets d’histoire ».

22h45

C’est l’anniversaire de « Pat la boîte », un copain qui travaille dans une grande mai- son de mode. Y a que des gens de la fashion, autant dire une police du look pas facilement corruptible. Globalement, ça passe, sauf un styliste qui :« Ça va, Rosy Varte? » Là, j’ai balance la référence. C’est dire…

0H15

Je tombe sur mon ex, qui me dit que, décidément, dans ma vie, j’aurai un avant et un après lui. J’ai envie de lui demander si c’est normal de porter des baskets de skateur roses à presque 50 ans. Ambiance jeune masculinité ?

2H23

Fumoir du Tango, un endroit très très gai, comme le chante Céline Dion dans « Zigg y». À mes côtés, un garçon pas comme les autres. Je le félicite pour sa jupe very « Dior tailleur Bar ».

2H24

« Merci, mais c’est une jupe- culotte. »

10H48

Au téléphone, débriefing. Ma meilleure amie me demande ce que peut bien porter un jeune homme sous une jupe-culotte.

10h49

Renseignement pris : un caleçon noir Ralph Lauren tout ce qu’il y a de plus…viril ? C’est ça, la nouvelle masculinité ? Bonne année !