Santé

La question psy : « J’ai honte de certains de mes amis, qu’est-ce que cela dit de moi ? »

« Je connais Julie* depuis l’âge de 3 ans. Nous nous sommes rencontrées en petite section de maternelle. Si l’on s’est toujours considérées comme meilleures amies d’enfance, je sens bien qu’un décalage s’est créé au fil des années, confie Louise, 29 ans. Petites, nous partions régulièrement en vacances ensemble, avec nos parents qui sont devenus copains. Cela a renforcé nos liens, je la considérais presque comme ma sœur. Puis, le fait de ne pas être scolarisées dans le même collège nous a un peu éloignées. Nous avons forgé d’autres amitiés, chacune de notre côté, avec des groupes d’ami·es très différents. 

En grandissant, nos centres d’intérêt ont évolué, pas toujours dans le même sens. Elle était passionnée de rock, tandis que j’écoutais plutôt du rap. Elle était fan de jeux de rôles et autres sagas fantastiques, un univers qui ne m’a jamais intéressée. Aussi, cela peut sembler superficiel, mais je voue un intérêt pour la mode depuis toujours. Là aussi, nos styles vestimentaires sont très différents.  

Malgré ces dissonances, l’affection que je lui porte n’a jamais disparu. Aujourd’hui, nous nous voyons environ une fois par an, et l’on s’écrit de temps en temps, pour prendre de nos nouvelles respectives. Cela me fait toujours plaisir de la voir, mais nous partageons peu de points communs. Même notre humour est assez différent. À tel point que j’hésite à la convier à mes anniversaires. J’ai peur que mes autres ami·es la jugent ou se moquent d’elle, cela me ferait beaucoup de mal. Comment faire si je me marie un jour ? Par fidélité, je me sentirais obligée de l’inviter à mon enterrement de vie de jeune fille, tout en craignant un certain malaise. J’ai presque l’impression d’avoir honte de mon amie, et culpabilise de ressentir tout ça », poursuit la jeune femme.

Dans un autre contexte, certaines personnes ressentent parfois de l’embarras à l’idée de présenter cet·te ami·e aux valeurs et idées politiques très différentes de leurs autres cercles sociaux. Alors, qu’est-ce que la honte d’un proche dit de soi-même ? Quels autres sentiments se cachent derrière elle ? Comment dépasser ces émotions ?

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LA RÉPONSE D’UNE PSYCHOLOGUE 

« Je parlerais d’abord de la capacité à ressentir de la honte, car elle n’est pas accessible à tout le monde. Si ce sentiment est extrêmement commun et répandu, il se forge dans l’après-coup, une fois que la socialisation a eu lieu, et que le développement de l’enfant a déjà bien avancé psychiquement. Si notre fonctionnement psychique est trop archaïque ou psychotique, on ne peut pas ressentir de honte, et c’est assez préoccupant, parce que cela se traduit autrement.

Ensuite, tant que cette émotion ne devient pas trop envahissante ou obsessionnelle, cela ne relève pas de la pathologie. La honte de ses ami·es peut être extrêmement furtive, et ressentie à un moment donné, sur un propos tenu ou un comportement : elle peut se rapprocher de la gêne ou de l’embarras. Cette émotion qui nous traverse, dans différentes situations, est généralement plus forte à certaines étapes de la vie, telles que l’adolescence. Et pour cause… 

Menace d’exclusion

La honte de quelqu’un d’autre parle effectivement de soi. Cela renvoie au regard de l’autre, et à la peur d’être mal jugé·e. D’un point de vue sociologique, les adolescents, aussi rebelles soient-ils, sont souvent hyper conformistes, mais sans s’en rendre compte. Les jeunes sont dans une phase d’émancipation, où ils essaient de se détacher du nid familial, en s’identifiant à un autre groupe social. Ils adoptent alors tout un tas de codes et de pratiques (manières de parler, de s’habiller, de se coiffer, de se tenir, de se maquiller…), propres à ce cercle-là.

« faire entrer un·e ami·e d’un autre cercle dans le nouveau groupe d’appartenance, c’est prendre le risque d’être exclu·e. »

Il y a ce sentiment qu’il faut absolument coïncider avec le groupe, pour pouvoir en faire partie. Par conséquent, faire entrer un·e ami·e d’un autre cercle dans le nouveau groupe d’appartenance, c’est prendre le risque d’être exclu·e. 

La honte d’avoir honte 

Dans cette situation-là, et à l’âge adulte, je dirais que le sentiment de culpabilité est tout à fait logique. Généralement, la honte et la culpabilité se donnent la main. Dans son ouvrage « Mourir de dire : la honte » (Éd. Odile Jacob), Boris Cyrulnik travaille sur la notion du secret. En effet, la honte est souvent dissimulée. S’ajoute à ce sentiment désagréable la honte d’avoir honte. C’est la raison pour laquelle les gens qui la ressentent s’auto-condamnent au silence. 

Un doute profond sur sa capacité à être aimé·e

D’un point de vue psychologique, il y a quelque chose de plus intime qui se joue. Suis-je capable d’être aimé·e pour ce que je suis ? Finalement, cela semble traduire un manque de confiance en soi.

« Cette peur de l’amalgame renvoie à un doute profond sur sa capacité à être aimé·e.

Si l’on ressent de la honte à l’égard du comportement de quelqu’un d’autre, c’est que l’on n’a pas tellement l’assurance de sa propre valeur. Dans le même sens, c’est que l’on doute de la capacité d’autrui à faire la part des choses. En effet, si l’on présente son ami d’enfance à un autre groupe, ces derniers pourraient très bien se dire : « Mon amie est vraiment charmante, mais son pote est odieux. » Cette peur de l’amalgame renvoie, elle aussi, à un doute profond sur sa capacité à être aimé·e. Pourquoi éprouve-t-on ce sentiment de honte de manière aussi forte ? Parce que cela vient faire vibrer une corde fragile, où l’on se sent en danger de perdre l’estime, l’amour, l’affection et la reconnaissance d’autrui.

Si je rencontrais cette situation-là dans mon cabinet, les questions que je poserais seraient les suivantes : Qu’est-ce qui fait que l’on se sent « obligé·e » d’inviter telle personne à un anniversaire, un mariage ou un EVJF ? En réalité, cela traduit une peur de blesser l’autre, de voir un éloignement se creuser, voire une peur de l’abandon. Et la notion de « fidélité » illustre très bien cette émotion. 

Un sentiment paradoxal

Ce sentiment est assez paradoxal. Je m’explique : contrairement à la famille ou aux collègues de travail, on est censé choisir ses ami·es, avec leurs qualités et leurs défauts. Si l’on est capable d’accueillir l’autre dans sa globalité, c’est que l’on a une capacité d’ambivalence. Logiquement, on devrait pouvoir ne pas opérer de clivage entre ses différent·es ami·es.

Après, il est vrai que le cas des ami·es d’enfance est un peu unique, dans le sens où il se passe quelque chose de très intéressant dans les amitiés infantiles. L’enfant ou l’adolescent n’est pas toujours en mesure de dissocier la famille et les ami·es, et on le voit de manière intéressante dans leur discours. « C’est ma sœur », « c’est mon frère », le vocabulaire utilisé témoigne de cet amalgame entre le lien amical et le lien filial. Encore une fois, l’émancipation se caractérise par le fait que l’on apprend à se détacher de son milieu d’origine pour s’identifier à un autre. Mais ce n’est pas un grand écart pour tout le monde. Certaines personnes vont rester dans un milieu très similaire.

Comment dépasser la honte ? 

Il y a plusieurs solutions pour dépasser la honte, la parole étant en tête. Si l’on organise un dîner en petit comité, pourquoi ne pas faire en sorte que ces personnes aient des points communs qui vont susciter un intérêt mutuel ? Si l’on organise une grande réception, les convives pourront déambuler d’un groupe à l’autre, et discuter avec celles qui sont le plus susceptibles de les intéresser. Alors, qu’est-ce qui peut faire que l’on bloque son attention sur une personne ? Pourquoi éprouve-t-on de la honte ? Qu’est-ce que ça vient toucher en soi ? Qu’est-ce qui fusionne aussi, potentiellement ? Je crois qu’il faut se poser toutes ces questions-là.

« S’accorder le temps de s’écouter soi-même, se poser et réfléchir à ce que l’on éprouve. »

La parole semble toujours la bienvenue pour remettre les choses en perspective. S’accorder le temps de s’écouter soi-même, se poser et réfléchir à ce que l’on éprouve. Nommer ses émotions, et essayer de les comprendre. S’il y a une douleur trop importante, on peut éventuellement en parler avec la personne concernée. Si cela semble impossible, se faire accompagner par un·e psychologue peut être utile, pour penser et panser ce sentiment.

L’humour peut être aussi une solution, pour relativiser et dédramatiser. En effet, avoir honte d’une tenue un peu folklorique, ou d’un comportement raciste, ne relève pas du même degré de gravité, ni du même registre. Dans tous les cas, la douleur concerne la personne qui ne veut pas mélanger les groupes, et cela mérite d’être accueilli avec bienveillance. Sans ajouter de honte à la honte. Essayer de ne pas s’en vouloir d’éprouver ce sentiment. »

(*) Les prénoms ont été modifiés.

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