Le Dr Aga a testé : l’art de ne rien faire
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VENDREDI
10H
Message du journal : « Alix, tu nous ferais un petit encadré pour accompagner le super papier de Patrick sur la flemme ? Toi qui es hyperactive, ça serait rigolo que tu testes le concept, ha ha ! » Ha ha, en effet. J’ai une première idée poilante : ne même pas répondre à ce mail.
10H03
Je réponds quand même au message parce que je suis en télétravail et je ne voudrais pas que la rédaction pense que je suis morte.
10H05
Patrick m’envoie son papier sur mon mail. J’accuse réception ou pas ? Allez, non, la flemme, ha ha !
10H06
Je lui réponds quand même. Sans ça, il va penser qu’il l’a envoyé sur une mauvaise adresse et s’inquiéter.
10H07
Je sais ce que je vais faire. Ne pas lire l’article… parce que… la flemme ! ha ha ! À la place je regarde la série « Beckham » sur Netflix.
10H09
Quel bosseur, ce Beckham. Et puis, sacré esprit d’équipe, pas le genre de type à marcher tout doucement vers le but, tranquilou bilou.
10H15
J’ai fini de lire le papier de Patrick. Bon, je vais quand même lui dire qu’il est super, mais après j’éteins l’ordi et je ne fais RIEN, promis.
10H18
Je tourne en rond dans le salon en ayant envie de cloper, ce qui m’est interdit avant la tombée de la nuit. Je pense que j’ai besoin d’un coach en flemme, mais qui ?
10H20
« Allô, Didier ? C’est quoi ton truc pour passer autant de temps sur le canap’ sans bouger ? Ah, c’est parce que tu ne veux pas déranger le teckel Tyson qui dort sur ton ventre ? Je vais essayer, alors. »
10H22
Tyson doit penser que j’ai fait un malaise car il me lèche furieusement les trous de nez. C’est dégueu. Je bondis du canapé. Et puis je retape les coussins, ça me détend.
10H23
Je regarde mon ordinateur, tout seul sur le bureau. J’ai l’impression qu’il est triste. Je fais un geste vers lui… Non !
10H24
Je vide le lave-vaisselle et je passe un petit coup de vinaigre blanc sur l’évier. Ça aussi, ça me détend bien car pendant ce temps-là je ne bosse pas. Défi relevé.
10H25
Je pense que dans le mot « flemme » il y a à la fois « femme » et « flamme », y aurait peut-être un petit fil à tirer pour mon papier ? NON !
10H26
Je monte dans la chambre de mon fils de 22 ans. Il est en télétravail aujourd’hui, comme moi. Dans son cas, ça signifie qu’il est allongé sur son lit en slip, au milieu de vêtements pas du tout pliés, à mater des vidéos sur son téléphone, un adhésif masquant la caméra de son PC tandis qu’au loin on entend une réunion Teams. De temps en temps, il dit : « Je suis d’accord avec Luc. » Qui est Luc ? Le sait-il seulement ? J’ai une bouffée de respect pour lui. Quel talent, quelle constance dans la glande, certains des trucs qui traînent sur sa moquette remontent au collège, on dirait bien. Et toutes ces années, il a tenu bon, jamais un effort, jamais un coup d’éponge nulle part, jamais une nanoseconde de travail hors des horaires légaux, rien.
10H27
Je m’allonge près de lui sur son lit. Il a l’air épouvanté, encore plus quand je lui murmure : « Quel est ton secret ? » Il me fait comprendre qu’il bosse en mettant son index sur sa bouche puis en désignant son écran d’un coup de menton las. Je le laisse, éperdue d’envie.
10H28
En redescendant l’escalier, je visualise, comme dans un cauchemar éveillé, un grand espace tout blanc dans l’article de Patrick. En bas, mes initiales.
10H55
Je clique sur « Envoyer » en haut à droite du texte que vous êtes en train de lire. Ça y est, enfin, je me sens totalement reposée. La flemme, c’est pas un sport de glandue.