Santé

Luc, 28 ans et bisexuel : « Mon image masculine s‘effondrait lorsque les femmes apprenaient que je suis pénétré »

C’est au collège que je me suis rendu compte que tous les corps m’attiraient. Les garçons me faisaient autant d’effet que les filles. Je n’avais alors pas conscience qu’il était question d’orientation sexuelle : c’est comme regarder un tableau et aimer tous les corps que l’on voit. Je découvre le plaisir anal tout seul, lors de la masturbation et sans vraiment me rendre compte que cela ne m’est pas réservé. On est au début des années 2000 et les insultes  homophobes fusent dans la cour du collège. Mes camarades font des blagues sur des choses que j’aime et je réalise alors que je ne suis pas dans la norme.  

Pendant longtemps, je vis une sexualité et une vie amoureuse hétérosexuelle, parce que c’est ce que l’on m’a appris. Je ne sais pas faire autrement. Je n’imagine pas alors pouvoir être amoureux d’un homme. En fait, mon sentiment d’appartenir à la bisexualité, ou à la pansexualité, se découvre dans la frustration. Malgré les très belles amours que je vis avec des femmes et mon attirance pour elles, il me manque quelque chose. Et si mon attirance pour les garçons ne se limitait pas à l’esthétique des corps ? Et si j’avais envie de les toucher, d’avoir des relations sentimentales avec eux ?  

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« Ma première fois avec un homme se fait un peu à l’arrache » 

J’ai grandi dans une famille très patriarcale à la campagne, avec des grands-parents immigrés. Parler d’homosexualité, ce n’est pas vraiment le délire. A 17 ans, je suis pâtissier chez les Compagnons du devoir (mouvement qui assure aux jeunes de 15 ans et plus une formation aux métiers traditionnels, N.D.L.R.), un milieu très macho. Mon attirance pour les hommes se concrétise. Je passe 90% de mon temps avec eux et je les regarde autant que les femmes hors de l’école. Je sens qu’il se passe quelque chose. 

Ma première fois avec un homme se fait un peu à l’arrache. Tout juste majeur, je rejoins à Bordeaux un garçon plus âgé rencontré sur Badoo. Pour lui tout est clair, il est gay et il a l’assurance d’un mec de la ville. Je me heurte pour la première fois (et pas la dernière) au stéréotype masculin qui veut qu’on soit là « pour baiser et rien de plus ». J’ai beau avoir l’habitude du rapport anal avec des objets que j’utilise en cachette, je ne l’ai jamais fait avec une autre personne. Il est bourrin et pas très sympa. A deux heures du matin, je comprends que dormir chez lui n’est pas une option et me retrouve sur la route pendant 50 minutes, fatigué et sonné. Plus tard, je réalise qu’on a frôlé l’agression. L’avantage du déni, c’est que je ne me rends pas compte de la violence de cet acte. Alors, je continue ma vie sexuelle sans rencontrer d’autres hommes pendant très longtemps.  

« Lâchez-nous avec l’idée que les bisexuels doivent trouver une vérité qui leur est encore inconnue »  

En 2012, le mot bisexualité n’est pas très médiatisé et j’ai l’impression que ce n’est pas un statut à part entière. Il faut choisir : soit je suis gay, soit je suis hétéro. Aujourd’hui, j’ai 28 ans, et cette sensation ne s’est apaisée qu’il y a quatre ans. On a longtemps pensé qu’être bi, c’était être gay et hétéro en même temps. Pourtant, à aucun moment je ne me reconnaissais à 100% dans l’une de ces deux orientations sexuelles. Si j’avais pu être l’un ou l’autre, ma vie aurait été tellement plus simple ! Beaucoup d’hommes homosexuels m’ont fait ressentir que j’étais un gay qui s’ignore. J’aurais aimé qu’on me lâche avec cette idée qu’une personne bisexuelle doit trouver une vérité qui lui est encore inconnue. 

« Un homme bi serait un hétéro qui ne peut pas assumer son désir de pénétration avec sa partenaire » 

Lors des rapports hétérosexuels, certaines femmes que j’ai côtoyées pensaient qu’être bisexuel est dévirilisant, la pénétration anale étant le symbole ultime de cette perte de virilité. Je ne correspondais plus à leurs attentes et mon image masculine s‘effondrait lorsqu’elles apprenaient que je suis pénétré. Cette part d’identité masculine qu’on a voulu m’enlever est souvent associée à la violence et à la force. Ce que j’aurais pris pour une agression il y a quelques années est finalement un cadeau. Si tu penses que ça ne fait pas partie de moi, tant mieux. Tu m’enlèves les défauts que tu pourrais détester chez un homme Merci ! 

On prend de plein fouet d’autres préjugés, comme l’idée selon laquelle le sexe gay ne tourne qu’autour de la pénétration anale. Un homme bi serait un hétéro qui ne peut pas assumer ce désir avec sa partenaire et qui se satisfait avec des mecs. J’ai donc longtemps pensé que ma sexualité était séparée en deux. Certaines pratiques étaient réservées à ma sexualité hétéro et d’autres à ma sexualité gay. Convaincu que la pénétration anale était réservée au sexe avec les hommes, je pensais que le sexe gay était plus brutal et binaire. Il doit y avoir un dominant et dominé, un pénétrant et un pénétré. Beaucoup de temps a été nécessaire pour déconstruire cette idée, par exemple en découvrant le sexe anal avec ma conjointe ou en me détachant des rapports phallocentrés et systématiquement pénétrants avec les hommes.    

« Je pensais qu’on n’aimait pas une femme comme qu’on aime un homme » 

En cloisonnant ma sexualité, je cloisonnais aussi ma vie sentimentale. Comme si on n’aime pas une femme de la même façon qu’on aime un homme. Cela fait écho au récit de l’homme hétéro qui vit sa sexualité gay caché, parce que c’est mal vu. Il s’interdit l’amour avec des hommes et ne fait que des rencontres passagères et inavouables. Le début de la sexualité de beaucoup de mecs bi et gays est alimenté par ce cliché-là. C’est pour ça qu’aujourd’hui, on se retrouve avec le marché de la baise homo sur Grindr (qu’il m’arrive d’utiliser moi-même).  

Je ne pensais pas pouvoir avoir de relations sérieuses avec un homme car on ne me l’avait pas appris. C’était un univers inconnu dont je n’avais eu que très peu de représentations. A 18 ans, je ne pensais qu’à « Brokeback Moutain », une histoire violente, virile et presque abusive. Alors, j’ai passé un long moment avec une fille. Ma bisexualité lui est tombée dessus quand j’ai décidé de lui dire un beau matin. Nous avions une sexualité hétéro et je vivais mes désirs seul. Puis j’ai eu une histoire fulgurante avec un homme. Notre rencontre, d’abord très intellectuelle, est rapidement devenue sentimentale. Mais je me heurtais à un douloureux constat : on peut être très amoureux sans être faits l’un pour l’autre. « Être amoureux d’un homme, c’est galère », j’ai longtemps pensé.  

« J’ai la sensation positive que toutes les aventures me sont accessibles » 

Quand j’ai réussi à me défaire de cette croyance, j’ai eu l’impression de me regrouper. Je n’étais plus deux personnes dans le même corps qui vivent des existences différentes. C’était une libération. Depuis quatre ans et demi, je vis en couple libre. J’avais appris de mes relations passées pour en parler du mieux possible avec ma compagne. Avant toute rencontre amoureuse et sexuelle, je lui ai tout déballé. Mes envies, mes frustrations. Plus jeune et plus alerte sur le sujet, elle était presque davantage prête que moi pour cette aventure, que nous avons pris le temps de mettre en place.  

Être un homme pénétré m’a permis de prendre du recul sur ma position quand je deviens pénétrant et de mieux comprendre où se trouvent les choses délicates.Par exemple, comment peut-on avoir un rapport avec un homme qui a des poils partout puis demander à sa partenaire femme d’être imberbe ? J’ai la sensation positive que toutes les aventures me sont accessibles. Je compare parfois la sexualité et la nourriture, devant tous les plats qui existent, j’ai le droit de tout manger ! 

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