Santé

« Milk blues » : comprendre la déprime au bout de l’allaitement

« J’ai arrêté d’allaiter quelques jours avant mes 30 ans, ma lactation ralentissait. Le soir de ma fête d’anniversaire, un énorme cafard me tombe dessus, il m’a fallu plusieurs jours pour faire le lien », confie Noëlle, aujourd’hui 38 ans. Ce qui lui a mis la puce à l’oreille ? La sensation de revivre les premières heures du post-partum, à la maternité. Le fameux Baby blues aurait-il son pendant allaitement, alors nommé « Milk blues » ? La conseillère en lactation Andréa Thimbo, aussi connue sur Instagram sous le nom @mamanquiallaite et auteure de « Mon p’tit cahier allaitement » (éd. Solar), rapproche en effet ces deux troubles, qu’elle qualifie de « petites périodes assez sensibles, synonymes d’un chamboulement qu’on ne s’explique pas toujours ». On y remédie de suite : focus sur le Milk blues et conseils pour l’appréhender.

Quand l’ocytocine se fait la malle

À l’instar du Baby blues, le Milk blues est avant tout une histoire d’hormones en chute libre. « Durant l’allaitement, le corps sécrète de l’ocytocine. Grâce à elle, et malgré la fatigue de l’allaitement, les femmes dorment bien, ont la pêche, se sentent bien », souligne Angélique Kazemzadeh, sage-femme et conseillère en lactation au sein de plusieurs hôpitaux parisiens. De là, l’arrêt de l’allaitement les prive de cet état de grâce, d’autant que le taux de cortisol – hormone du stress – lui, ne bouge pas.

« Le Milk blues est phénomène physiologique dû à des changements hormonaux », résume Andréa Thimbo. Cependant, si les hormones sont les grandes responsables du sentiment « flagada » qui succède à l’allaitement, tout dépend de la façon dont celui-ci est amorcé. « Des facteurs situationnels et émotionnels s’ajoutent », précise la conseillère en lactation. Comme ? Un allaitement que l’on interrompt à contre-cœur. La durée du congé maternité étant ce qu’elle est – deux mois et demi, les femmes sont parfois contraintes de cesser la pratique, de quoi majorer le blues. Aurélie, 34 ans, l’a vécu. Elle a entamé le sevrage trois semaines avant de retourner au bureau. « Si j’avais pu, j’aurais évidemment continué », confie la jeune femme qui estime avoir vécu un « Milk blues carabiné », entre hormones en débandade et frustration.

« Je n’avais plus de montées de lait mais des montées de larmes »

Lucile, 36 ans, a quant à elle « choisi » d’arrêter pour retrouver une forme de liberté. Malgré tout, le Milk blues l’a surprise. Son plus gros « symptôme » ? Les larmes de 18h, qui ont remplacé la tétée qu’elle a maintenue jusqu’au bout à cette heure-ci : « Je n’avais plus de montée de lait, mais des montées de larmes », partage-t-elle.

Les pleurs, manifestation fréquente du Milk blues ? Aurélie a beaucoup pleuré aussi. Mais chaque femme vit son propre Milk blues. Comment être certaine qu’il s’agit bien de lui – si ce n’est le timing ? Andréa Thimbo relate un « état tristoune difficile à décrire généralement causé par les hormones, auquel on peut ajouter des émotions plus nettes, comme une nostalgie, une déception, une culpabilité ». Aurélie en témoigne : « Je crois que les hormones nous dominent : j’avais beau essayer de relativiser, un petit diable continuait de me balader entre colère et peine, comme en syndrome prémenstruel. »

Allaitement long, Milk blues costaud ?

Lucile, qui s’en est voulu de privilégier son bien-être et un retour à la vie normale, a mis plusieurs mois à remonter la pente. La durée du blues est-elle inversement proportionnelle à celle de l’allaitement ? Impossible de l’affirmer. Toutefois, la sage-femme précise que les allaitements longs se soldent plus facilement en Milk blues pour des raisons évidentes : « Les femmes ont le temps de s’installer dans la pratique et dans un bain hormonal, de trouver un confort, des habitudes, une façon d’organiser le trio avec le co-parent aussi », observe-t-elle.

Bien sûr, un allaitement court n’empêche pas la déprime, notamment s’il a demandé beaucoup d’efforts et d’ajustements au départ. Selon la sage-femme, le Milk Blues a tendance à ne pas épargner « les femmes qui ont trouvé un trésor en chemin » : « Il survient davantage quand on s’est battue pour allaiter, et, contrairement à ce que l’on imagine, la mise en place de l’allaitement n’est ni évidente, ni instinctive », poursuit la professionnelle. Cette vision « fastoche » de l’allaitement a des conséquences : « Quand j’ai espacé les tétées, j’étais triste et je passais pour une chose fragile, ce qui n’arrangeait rien », témoigne Aurélie. Et s’il fallait se rappeler l’exploit et être fière de soi pour refermer plus sereinement la page de l’allaitement ? « Grâce au soutien de mon mari, j’ai réussi à me dire que j’avais déjà fait beaucoup. Mon pincement au cœur est devenu une douce nostalgie », partage Estelle, quatre mois d’allaitement.

Réapprivoiser son corps, une étape dans l’étape

« Mes seins ressemblaient à deux gants de toilette, j’ai fait une fixette et j’en devenais maso : les douleurs me manquaient », confie Lucile. Sans questionner son apparence, Chloé, 39 ans, qui a allaité son deuxième enfant jusqu’à ses trois ans, raconte pour sa part combien il a été perturbant de devoir réinvestir son corps. « Comme si on me le rendait brusquement », dit-elle. Étonnant quand on voit combien, en post-partum, la question de retrouver son corps d’antan est prégnante, parfois même urgente ? « Le corps post-allaitement rappelle sans cesse aux femmes l’allaitement, note Andréa Thimbo. Elles peuvent avoir du mal à se détacher de lui, de sa fonction nourricière. »

À ça s’ajoute le retour de couches, environ six semaines après le début du sevrage. « Une nouvelle imprégnation hormonale secoue les femmes », souligne Andréa Thimbo. « Pour autant, mes règles m’ont comme apaisée, je reprenais mes marques », raconte Aurélie. Un jour, le Milk blues est de l’histoire ancienne ? « Il doit s’estomper en quelques semaines et rester de l’ordre de la petite déprime », précise la sage-femme Angélique Kazemzadeh. En cas de symptômes plus ardus, on consulte : la dépression du post-partum sévit la plupart du temps durant la première année qui suit l’accouchement. Comment la distinguer du Milk blues ? « En Milk blues, le bébé nous manque, il grandit, tandis que durant une dépression, on peut se sentir mal à l’aise dans son rôle de mère », cadre la sage-femme.

Des remèdes au Milk blues

Pour échapper au Milk Blues, la solution ne serait-elle pas de repousser l’échéance afin de choisir « son bon moment » ? Dans une société qui ne facilite pas la poursuite de l’allaitement, Anne-Laurence, 36 ans, a jonglé entre bureau et tire-lait, car elle n’était pas prête à couper. « En tirant son lait, les taux hormonaux se maintiennent, les femmes sont préservées », explique la sage-femme. Mais voilà qui demande une organisation millimétrée. Anne-Laurence a fini par se résigner. « J’étais même encouragée par ma nounou, et, aujourd’hui, je regrette encore », soupire-t-elle.

La spécialiste Andréa Thimbo rappelle que l’important est de bien « gérer son sevrage », idéalement via l’accompagnement d’une conseillère ou consultante en lactation, ou de sa sage-femme, afin de diminuer les tétées correctement, dans le respect de son corps et des besoins de son bébé. Le taux d’ocytocine diminue alors tranquillement. Aussi, l’encadrement et le sentiment de prendre les choses en main aident à passer le cap. Aussi, la sage-femme conseille de prévoir des vacances ou des activités à l’arrêt de l’allaitement, pour anticiper le possible vide après des mois de fusion avec son enfant. L’idée ? Se réinvestir, se « remplir » et accueillir, du même coup, le Milk blues avec philosophie : « Finalement, il raconte que l’on a aimé son allaitement », conclut la sage-femme. C’est tendre.


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