Santé

Quand la cybersurveillance s’immisce dans le couple

Le respect de l’intimité numérique n’est pas toujours de mise dans les relations amoureuses. Manque de confiance, peur d’être trompé.e, curiosité malsaine… Certain.es partagent volontiers leurs mots de passe : selon une étude d’Express VPN, 26 % des couples disent connaître les codes d’ordinateur de l’un.e et l’autre et 19 % ceux du téléphone. Pour d’autres, le consentement est loin d’être respecté : ils subissent la cybersurveillance de leur partenaire.

De la fouille de téléphone à la surveillance vocale

Camille, 24 ans, travaille dans le marketing dans le sud de la France. En 2022, elle vit une histoire d’amour depuis deux ans et demi avec Pierre*. Leur relation commence à s’étioler. Son compagnon est de près de 15 ans son aîné : « Il avait des projets qui ne me correspondaient pas, j’avais besoin de faire mes expériences. » Lorsqu’il la sent s’éloigner, l’homme devient suspicieux et fouille pour la première fois dans le téléphone de Camille. Comme Pierre, un Français sur cinq déclare avoir déjà surveillé ou fouillé le téléphone de son partenaire sans son autorisation, selon une étude menée par Ipsos en 2021.

La jeune femme a l’impression de ne plus avoir d’intimité

Devant cette intrusion, Camille change le code de son téléphone. Mais Pierre ne s’arrête pas là. Ils vivent ensemble et la jeune femme a l’impression de ne plus avoir d’intimité. À cette période, elle a particulièrement besoin de parler de ses soucis à sa famille, qui vit à 300 kilomètres d’elle. Quand elle est au téléphone, elle se sent « écoutée », « comme s’il était tout le temps derrière la porte ». « Donc je vérifie partout, pour voir s’il ne se cache pas pour m’espionner, même sous la terrasse… J’ai l’impression d’être parano. »

Un jour, elle raconte à l’un de ses proches qu’un autre homme lui plaît. « Il revient alors super énervé et je comprends qu’il a tout entendu », explique Camille. Elle cherche un micro dans tout l’appartement et trouve rapidement une caméra derrière la télévision. « Pendant un mois, il a enregistré toutes mes conversations… Donc quand je me confiais à mon père, par exemple, il écoutait tout. » Elle fait ses valises et le quitte immédiatement. « Lorsque je comprends, j’ai le ventre tordu, je me sens mal, je suis choquée. Mais dix minutes après, je me sens libérée : j’ai une bonne raison de partir. » Si elle a bien conscience de la gravité de ce que Pierre a fait, Camille n’a « jamais pensé à porter plainte », parce qu’elle avait « de la peine pour lui ».

Surveiller pour se rassurer

C’est parce qu’elle se dit que « quelque chose ne va pas » que Charlotte*, 26 ans, en vient à surveiller son petit ami de l’époque. Après six mois de flirts et de rendez-vous amoureux, elle se met en couple avec Amaury*. Il commence alors à être « imbuvable ». « Il me ment, me parle mal, me rejette », raconte cette employée dans la culture. Elle s’inquiète aussi, car il « devient très bizarre avec le sexe. » Ce qu’elle remarque n’est pas de nature à la rassurer : « Je me rends compte qu’il regarde du porno tout le temps, des vidéos qui me dégoûtent vraiment, y compris sur mon ordi. Il ne prend même pas la peine de supprimer son historique. »

Je voulais surtout savoir ce qu’il disait sur moi aux autres

Petit à petit, il devient violent, aussi bien physiquement que psychologiquement. Il la déprécie, lui dit qu’elle n’a pas d’amis, que les gens l’apprécient seulement grâce à lui. Il la force à arrêter d’être sur les réseaux sociaux. Quant à elle, elle devine le mot de passe de son téléphone et de son compte Facebook. « À partir de là, je fouille constamment. » Charlotte ne lit pourtant pas de conversations démontrant une liaison – c’est lorsqu’il la quitte qu’elle apprend qu’il l’a trompée pendant deux ans avec plusieurs femmes. « Je voulais surtout savoir ce qu’il disait sur moi aux autres. C’est pour ça que je le fliquais, parce que j’avais peur qu’il me fasse passer pour une folle. Pas par peur qu’il parle à d’autres filles », explique-t-elle. « Il disait que j’étais conne, chiante, folle, que j’étais une pute ».

Depuis, elle fouille systématiquement dès le début de relation

Quand il la quitte, elle est dévastée et continue à lire ses conversations privées pendant plusieurs mois. « Je ne regrette pas d’avoir fouillé parce que je n’aurais jamais su qui j’avais en face de moi. », estime Charlotte. « Ça m’a permis de ne pas le laisser revenir dans ma vie. Sans ça, je serais peut-être encore avec lui. » Depuis, elle fouille « presque systématiquement » dans le téléphone des hommes avec qui elle entame une relation. « Parce que j’ai peur, parce qu’on ne connaît jamais vraiment les gens, parce que ça m’est arrivé trop de fois d’être prise pour une conne », déplore-t-elle.

De graves conséquences souvent oubliées

La jeune femme n’est pas au courant qu’elle pourrait être poursuivie. En effet, selon le Code pénal, porter atteinte à la vie privée d’autrui en captant ou en enregistrant des conversations privées sans consentement est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Charlotte a aussi un faux compte Instagram : avec celui-ci, elle peut « stalker » des comptes en toute discrétion. Une activité pour laquelle certain.es vont jusqu’à payer. Thibault, 28 ans, est détective privé. Pour cybersurveiller le ou la conjoint.e d’un client, son agence facture jusqu’à 85 euros hors taxes par heure. Il est généralement contacté par des gens qui craignent l’infidélité. « Des client.es me disent « je sais qu’il ou elle me trompe”. Alors, on va vérifier sur les réseaux sociaux, les sites et applications de rencontre. On regarde le profil des gens, on se géolocalise à côté des personnes », explique-t-il. En revanche, il lui est interdit de surveiller une personne avec qui son client n’aurait pas de lien juridique (mariage, PACS…) ou de s’introduire dans le téléphone ou l’ordinateur d’un tiers.

L’espionnage, une nouvelle angoisse

Thibault est parfois également appelé par des client.es qui craignent d’être espionné.es. « On va alors chercher une caméra, un micro ou encore un tracker GPS, que ce soit dans la maison ou dans la voiture », précise-t-il. « On cherche partout : dans les bibliothèques, les multiprises, les machines à café. » Avec son activité, il peut aussi détecter un éventuel logiciel espion – du type applications de contrôle parental ou programmes payants – dans le téléphone d’une personne. Ces « virus », très difficiles à détecter, permettent à une personne malintentionnée de surveiller toute l’activité du smartphone de la victime.

Je ne peux pas échapper à son contrôle. Je suis terrorisée

Mathilde*, 43 ans, fonctionnaire, en a fait les frais. Pendant près de 10 ans, elle partage sa vie avec Simon*. Elle vit une relation amoureuse faite de violences « économiques, verbales et psychologiques ». Ils ont deux petites filles en bas âge lorsqu’il la quitte. Ils continuent à vivre ensemble dans leur appartement, car ils en sont copropriétaires. Au bout d’un an et demi et après avoir eu d’autres aventures, il veut soudain recommencer leur histoire. « Il m’a dit : “J’ai bien réfléchi, c’est mieux pour les enfants.” », explique Mathilde. « J’avais un mois pour réfléchir… Mais la question s’est réglée d’elle-même. » Son ex fouille dans son téléphone, dans ses papiers administratifs, pirate son compte Facebook. « Grâce à ses contacts dans la sécurité informatique, il met mon téléphone sur écoute. Il est au courant de toute mon activité téléphonique : le soir, il me parle de conversations que j’ai eues dans la journée. », raconte-t-elle. « Il veut me faire peur et que je comprenne bien que je ne peux pas échapper à son contrôle. Je suis terrorisée. J’ai l’impression d’avoir tout le temps quelqu’un qui m’observe… Surtout, je ne sais pas jusqu’où ça peut aller. »

21 % des femmes interrogées indiquent avoir été surveillées à distance

En 2018, une étude menée sur le sujet par le centre Hubertine Auclert pour l’égalité femmes-hommes révèle que neuf femmes victimes de violences conjugales sur dix déclarent avoir subi des cyberviolences de la part de leur partenaire ou ex. 21 % des femmes interrogées indiquent avoir été surveillées à distance via un logiciel espion.

Résultat de cette surveillance : Mathilde passe ses coups de téléphone depuis le fixe de son bureau et change ses mots de passe. La situation dure quelques semaines. Elle finit par le quitter définitivement et elle suppose qu’il arrête de l’espionner à ce moment-là. Elle ne porte pas plainte, par peur et faute de preuve.

* Les noms sont modifiés.

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