Santé

Témoignages : « Je suis incapable de me mettre en colère »

Une question de caractère

Hugo a 26 ans. Il ne se met presque jamais en colère. « Mes amis et ma famille me disent que je laisse passer trop de choses, que je devrais plus souvent m’énerver, mais j’en suis incapable », raconte-t-il. Quand un proche ou un collègue le blesse, il en est bien conscient, mais choisit de ne rien dire. « Si je me mets en colère, je sais que je vais regretter et culpabiliser, j’ai peur de briser mes relations, alors je préfère laisser couler. » Au quotidien, il lui arrive de se faire marcher dessus. Mais rien n’y fait, c’est ainsi qu’il fonctionne. Il n’a d’ailleurs jamais appris à faire autrement : « J’ai été élevé par des parents qui eux-mêmes ne se mettent jamais en colère. »

Notre rapport à l’émotion se construit en effet souvent dans l’enfance, commente Monique de Kermadec, psychologue clinicienne et autrice du livre « Osez la colère ». « Si dans notre famille, la colère est interdite, l’enfant intègre que pour gagner l’amour de ses parents, il doit taire cette émotion, indique-t-elle. Et à l’inverse, si l’on a grandi dans une famille où l’on se crie toujours dessus, on peut vouloir prendre le contre-pied pour ne pas revivre ça à l’âge adulte. »

La capacité à exprimer cette émotion dépend également de notre personnalité et peut être le signe d’un manque d’affirmation. Quelqu’un de timide et plein d’insécurités osera parfois moins confronter l’autre qu’une personne extravertie. « Certaines personnes acceptent aussi trop les aléas de la vie, et adoptent la philosophie du préférable, c’est-à-dire qu’ils sont toujours dans le souhait plutôt que dans le reproche vis-à-vis des autres », explique Didier Pleux, psychologue, docteur en psychologie du développement et auteur du livre « Échapper à la dictature du cerveau reptilien ». Sans oublier la peur de comment l’autre va réagir, dans le cas où la personne en face de nous a un fort tempérament. Mais à force de tout laisser passer, il peut naître en nous un fort sentiment de frustration.

Le rôle de la colère

À 51 ans, Gwenaelle affirme ne s’être mis en colère que trois fois dans sa vie. Une fois contre son ex-mari, quand il l’a quittée ; et deux fois contre ses enfants. « Tout le reste me glisse dessus et ne m’atteint pas assez pour me mettre en colère », dit-elle tout en douceur. Et d’ajouter : « j’ai toujours eu des relations pacifiques, d’ailleurs, en quinze ans de relation avec mon ex-mari, on ne s’était jamais disputé ! » En se comparant à certaines de ses amies, qu’elle décrit plus sensibles à cette émotion, elle affirme toutefois sans regrets : « Je n’ai pas ce moteur qui pourrait me faire avancer dans certaines situations. »

La colère peut-elle être un moteur ? « Ce qui est sûr, c’est qu’elle est un signal d’alarme, elle nous permet de réagir face à des mots blessants, ou à des situations injustes », indique Monique de Kermadec. Si on l’associe parfois trop rapidement à de la violence, la colère est pourtant un catalyseur de changement. « L’émotion nous fait prendre conscience d’un comportement que l’on juge inacceptable, ce qui a pour fonction de nous pousser à l’aborder avec l’autre personne concernée, informe la psychologue clinicienne. Elle nous protège de ce qui nous fait du mal et nous aide à nous mobiliser face à l’injustice. » Parvenir à l’exprimer et s’assurer que l’on nous traite avec respect, peut transformer cette émotion en un sentiment libérateur.

Trouver un équilibre

À force de ne jamais extérioriser, le risque est de transformer sa colère en quelque chose de dévastateur. C’est pour cette raison que Maxime, 25 ans, peine à exprimer sa fureur à ses proches. « C’est frustrant parce que je me dis que ce serait parfois légitime de me mettre en colère, mais je ne le fais pas sortir, se confie-t-il. Sous le coup de l’énervement, j’ai peur d’avoir des mots qui pourraient mettre mal la personne en face. Le problème c’est qu’en ne disant jamais rien, j’accumule de la rancœur et à la fin j’explose, un tout petit truc va me faire péter un plomb ! »

« C’est pour cela qu’on parle de bonne et de mauvaise colère, insiste Didier Pleux. La bonne colère est celle qui affirme ce qui dysfonctionne dans le quotidien ; les mauvaises colères, quant à elles, sont celles que l’on exprime avec agressivité, qui cassent le relationnel. » Si l’on ne manifeste pas sa « bonne colère » en mots, on la refoule. Les émotions se traduiront alors en comportements et paroles violentes, que rien ne peut justifier.

L’écueil à éviter est celui de penser qu’en laissant couler, le problème se règlera de lui-même

Pour mettre des mots sur ce qui nous a scandalisé, mieux vaut donc ne pas le faire dans le feu de l’action. « On risque d’utiliser des termes qui dépassent notre pensée, confirme Monique de Kermadec. Dans la mesure du possible il faut prendre le temps d’analyser l’incident, puis proposer à l’autre d’en reparler quand on sera apaisé. » Pour exprimer ce qui nous a dérangé, rien de tel que de faire appel à nos ressentis. Les psychologues invitent à humaniser notre émotion, en disant par exemple : je me sens attaqué, méprisé, oublié… Pour cela, encore faut-il apprendre à repérer sa colère et ce qui la déclenche. Mais cette conversation sera l’occasion d’énoncer la liste de nos besoins pour que la situation ne se reproduise plus. Par exemple, on peut compléter les phrases suivantes : « je n’aime pas que l’on me parle comme ça… », « je souhaite qu’on ne me traite pas comme ci… »

L’écueil à éviter est celui de penser qu’en laissant couler, le problème se réglera de lui-même. En estimant laisser tranquille l’autre, on risque de retourner la colère contre nous-même, puis d’exploser lorsqu’on aura trop accumulé de rancœur. Si apprendre à décoder et gérer cette émotion nous paraît trop difficile, et si c’est une souffrance au quotidien, il est toujours possible de se faire accompagner par un spécialiste de la santé mentale.

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