Santé

Travail, vie quotidienne et relations amoureuses, comment vivre pleinement son hypersensibilité ?

« Une pleurnicheuse ». C’est ainsi qu’est décrite Mélanie depuis sa plus tendre enfance. « Quand je suis énervée, je pleure, quand je rigole, je pleure, quand je suis déçue, je ne parviens pas à m’arrêter de pleurer. Et parfois il suffit d’un rien, une latte de mon lit qui se déboîte et je n’arrive pas à retenir mes larmes », explique la jeune femme de 27 ans.

À 48 ans, Céline avoue, elle, pleurer de joie ou de tristesse au moins une fois par jour. Mais il n’y a pas que les larmes. Entendre son voisin au cinéma manger du pop-corn l’irrite au plus haut point, une émotion trop forte peut aller jusqu’à provoquer un malaise. Du côté de Juliette, 24 ans, le son d’un cahier qui claque, le bruit d’un pétard qui éclate peut déclencher une crise de panique.

Mélanie, Céline et Juliette sont toutes les trois hypersensibles. Elles ont mis un mot sur l’intensité des sensations qu’elles éprouvent et pour toutes c’est un premier pas vers l’acceptation de soi et la légitimation de leurs émotions.

Dans la tête d’un hypersensible

Le docteur en psychologie Saverio Tomasella mène depuis plus de vingt ans des recherches sur les hautes sensibilités. Il œuvre à déculpabiliser les hypersensibles. « Dans le cerveau d’une personne hautement sensible, le thalamus est en sous-activité. Ainsi, elle subit une arrivée massive d’informations sensorielles, émotionnelles et cognitives en même temps », explique le chercheur. Conséquence : le système nerveux est hyperstimulé et sature. Les hypersensibles sont donc plus fatigables, ils vont moins bien supporter les foules, le stress, les odeurs ou les bruits.

Par ailleurs, relève le psychologue, dans le cerveau d’un hypersensible, « trois zones sont suractivées. Il peut ressentir la douleur physique et morale 40 % plus intensément. »

Alors comment expliquer qu’une personne soit plus sensible qu’une autre ? Plusieurs hypothèses. La chercheuse américaine Elaine Aron, pionnière des travaux sur l’hypersensibilité, a investigué la piste de l’héritage génétique. Elle a découvert un gène différent : celui qui utilise la sérotonine, l’hormone de la détente. La sérotonine serait produite en même quantité pour tout un chacun mais moins bien utilisée chez les hypersensibles.  « Mais cela ne concernerait que 40 % des personnes hautement sensibles », indique Saverio Tomasella. « Pour les 60 % restants, l’explication relève de l’environnement : facteurs intra utérins, éducation, traumatismes rendent certains plus sensibles que la moyenne. »

Des clefs pour mieux vivre son hypersensibilité au quotidien

Il convient de souligner que l’hypersensibilité n’est pas une maladie, on ne peut donc pas parler de symptômes et encore moins de traitements.

Pour autant, des pratiques permettent d’atténuer la sensation de trop-plein comme le yoga et la sophrologie. Des enseignements que dispense Aude Chaput, elle-même hautement sensible. « Le yoga et la sophrologie vont autoréguler le système nerveux. Prendre conscience de son corps, maîtriser sa respiration permet un abaissement physique des tensions. L’idée est de créer un cocon interne pour mieux appréhender et contrôler ses sens, être moins interconnecté en permanence avec tout ce qui nous entoure », explique-t-elle.

Par ailleurs, elle recommande quelques exercices simples que l’on peut mettre en œuvre au quotidien. « Il y a d’abord la technique du « shaking » : après une journée stressante, sautillez sur place et secouez vos membres dans tous les sens. On peut aussi expérimenter la respiration par le ventre. Allongez-vous et posez un objet sur votre nombril, sentez-le bouger en inspirant et en gonflant le ventre. Cela permet de se concentrer et d’évacuer les tensions », indique Aude Chaput.

Saverio Tomasella préconise, lui, de « comprendre ce qui est bon et ce qui ne l’est pas pour soi. Par exemple, un hypersensible fatigue plus rapidement. Dans ces circonstances, il a besoin de plus de sommeil, 8 à 9 heures par jour, de faire des pauses au calme régulièrement pour éviter la saturation. Je déconseille l’abus d’excitants comme le café, le tabac ou le sucre. Enfin, avoir une activité créatrice comme le dessin, l’écriture ou la cuisine a montré ses bénéfices », affirme-t-il.

Les hypersensibles et l’amour

Pour les hypersensibles, le champ amoureux est un terrain complexe où les émotions sont décuplées dans les extrêmes. Dans son ouvrage « Hypersensible, hyperamoureux » (publié aux éditions La Musardine), le psychiatre Stéphane Clerget a analysé le rapport à l’amour des hypersensibles. « Ils vivent l’amour et tous les aléas amoureux avec plus d’intensité. C’est une chance car les hypersensibles tirent plus de profit de l’histoire mais ils vivent aussi plus mal les ruptures. Certains peuvent aller jusqu’à renoncer aux relations amoureuses après un chagrin d’amour », indique-t-il.

Selon le médecin, pour vivre une histoire d’amour épanouissante lorsqu’on est hypersensible il faut d’abord prendre son temps. « Les personnes hautement sensibles n’y voient pas toujours très clair dans leurs sentiments car tout est intense. Ils confondent parfois l’amour, le désir physique ou une simple affection. Il vaut mieux éviter de s’emballer et observer l’autre et soi pour que les émotions puissent sédimenter », conseille-t-il.

Par ailleurs, encore davantage que dans n’importe quelle relation amoureuse, la communication est centrale. « Lorsqu’on est hypersensible il faut absolument s’exprimer, dire ce que l’on ressent dans chaque situation car l’autre ne comprend pas forcément nos réactions », précise Stéphane Clerget.

Enfin, le psychiatre conseille de se méfier de certains profils. « Les hypersensibles représentent des proies privilégiées des pervers narcissiques et des vampires psychiques qui se nourrissent de leurs émotions. Il convient de les identifier et de s’en écarter. »

L’importance de l’environnement de travail

Encore davantage que pour n’importe qui, l’épanouissement d’un hypersensible passe beaucoup par le choix de son métier et de sa façon de travailler. « Même s’il n’y a pas de règles, on retrouve souvent chez les hypersensibles des entrepreneurs, des artistes, des personnes qui exercent des métiers proches de la nature ou qui apprécient le télétravail », pose Saverio Tomasella.

Pour Mélanie, 27 ans, son métier créatif de prothésiste ongulaire et de make up artist est justement un moyen de canaliser ses émotions. Céline, écrivaine, travaille depuis 15 ans à son compte et pour elle, ça change tout. « Lorsque j’étais salariée, mon hypersensibilité pouvait susciter l’incompréhension des collègues. Je suis extravertie, j’ai besoin de parler et de m’exprimer tandis que mes collègues préféraient le silence. »

Pour Juliette, conseillère numérique pour les personnes en difficulté, c’est l’inverse. « Je travaille dans un service public, postée à l’accueil alors tous les jours je subis le bruit, le monde, ça m’empêche de me concentrer. J’écoute aussi les histoires parfois difficiles des gens et les larmes me montent aux yeux, ça ne fait pas pro. » Elle a alerté son employeur quant à la nécessité pour elle d’avoir un bureau à part, sans résultat, alors elle a décidé de partir à la fin de son contrat.

Hypersensibles : assumez-vous !

Il n’y a pas de profil type d’hypersensible. À cet égard, Saverio Tomasella tient à démonter quelques idées reçues. « La haute sensibilité concerne autant les hommes que les femmes, à tout âge et il y a autant d’introvertis que d’extravertis. Par ailleurs, on aurait tort d’assimiler les hypersensibles à des individus douillets et capricieux, ils sont généralement courageux et persévérants », insiste le docteur.

Les hypersensibles représentent à la fois une chance individuelle et collective. Puisqu’ils ressentent tout plus fort, ils ont une capacité à éprouver d’intenses plaisirs et une grande capacité d’émerveillement. « Je peux regarder une montagne et pleurer devant tant de beauté », illustre Céline. Aussi, ils perçoivent plus facilement les émotions des autres et sont très à l’écoute. « Les hypersensibles sont de bons négociateurs, de bons enseignants, ils savent résoudre les conflits. Ils ont souvent des idées originales et osent. Ils donnent un élan vers une société plus solidaire et plus respectueuse », pointe Saverio Tomasella.

Le chercheur constate des avancées notables dans l’acceptation des sensibilités par la société au cours des vingt dernières années mais pour lui, des progrès restent à faire. « On parle des émotions de manière plus favorable, on entend moins qu’un garçon ne devrait pas pleurer mais on reste dans une culture machiste. Il reste du travail à entreprendre dès l’école pour valoriser la sensibilité et considérer que son expression est bonne », conclut le psychologue.

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