Santé

Vampires psychiques : ces êtres qui nous volent notre énergie

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Ils n’enfoncent pas leurs canines dans notre jugulaire mais nous pompent subrepticement notre énergie. Au travail, en amitié, en couple, ils se nourrissent de notre force vitale et épuisent ceux qui tombent dans leur piège. Eux ? Ce sont les vampires psychiques, ces « voleurs d’énergie ». Interview avec  le psychiatre Stéphane Clerget, qui leur a consacré un livre*.

ELLE. Rassurez-nous, les vampires psychiques ne se nourrissent pas de notre sang ?

Stéphane Clerget. Non ! Même s’il est vrai que je me suis inspiré du mythe pour théoriser leur fonctionnement. Les vampires psychiques sont en fait des individus qui ont besoin de l’énergie des autres pour exister. Ils vont dépendre de nous et se nourrir sans limites de nos émotions, de nos capacités, de notre force de travail, bref, de tout ce qu’on peut leur apporter sur le plan affectif, émotionnel, énergétique mais aussi purement pratique. Ça peut être cette bonne copine qui vous pique peu à peu vos amis, ce collègue qui s’approprie votre expertise, cette mère qui se sert de sa fille pour revivre son adolescence, cet artiste qui s’appuie sur sa working girl de femme pour réussir sa carrière… Les exemples abondent.

ELLE. D’où vient ce besoin d’aspirer l’autre ?

Stéphane Clerget. Le vampire psychique n’est absolument pas apte à trouver de l’énergie en lui-même ou dans son existence. Il n’a pas son propre générateur et, par conséquent, il se branche sur nous pour combler ce déficit.

ELLE. Est-ce un phénomène conscient ?

Stéphane Clerget. Comme dans tout, il y a des gens plus ou moins lucides sur leur fonctionnement, plus ou moins en capacité d’introspection. Mais, qu’ils soient conscients ou pas, cela ne change rien car c’est le seul moyen qu’ils ont pour exister. C’est instinctif, ils n’ont pas d’autre choix.

ELLE. De quels ressorts font usage ces vampires ?

Stéphane Clerget. Bien souvent, ils n’usent pas de techniques spécifiques. Ils se posent tout simplement en victimes. Victimes des autres, des situations, de l’existence. Être victime, c’est susciter de l’empathie, de l’attachement. Et c’est désormais un statut à part entière. Aujourd’hui, beaucoup de gens ne mettent en avant que cette identité. Or, être victime n’est pas une identité. C’est une partie de notre vie. Mais on ne peut pas se définir exclusivement par cela. L’ère de la victimisation dans laquelle nous sommes entrés valorise ce statut dans le regard social, même si c’est difficile d’énoncer les choses ainsi. Le fait d’être victime n’octroie pas un blanc-seing pour épuiser les autres.

ELLE. Le vampire psychique, n’est-ce pas une nouvelle manière de décrire les pervers narcissiques ?

Stéphane Clerget. Il règne une grande confusion qui nous fait voir des pervers narcissiques partout. Le pervers ne cherche pas à être revitalisé, il cherche une jouissance dans l’exercice d’une manipulation ou d’une maltraitance, en vue de la destruction de l’autre. Le vampire, lui, n’est pas dans une quête de jouissance, mais plutôt d’énergie. Il peut être totalement assisté, dépendant, on peut avoir pitié de lui et presque volontairement se laisser vampiriser, ce qui n’est jamais le cas du pervers : on n’a jamais pitié du pervers narcissique, au contraire, on attend sa pitié ! La jouissance est plutôt du côté de la personne vampirisée, qui, souvent, jouit du sentiment d’être utile à l’autre.

ELLE. Existe-t-il une victime type ?

Stéphane Clerget. On peut dire que le profil type est celui de l’aidant. Toutes les personnes qui ont été éduquées pour aider autrui et vont parfois jusqu’à se perdre à cause d’un sentiment de culpabilité et/ou d’une mésestime de soi, du sentiment aussi d’avoir trop reçu.

ELLE. Mais aider l’autre ce n’est pas forcément se faire vampiriser ?

Stéphane Clerget. Bien sûr. Il faut essayer de distinguer les personnes qui nous vampirisent de celles qui demandent juste de l’aide. C’est une question de limite. Aider oui, mais pas être saigné à blanc. Car une fois que notre énergie sera épuisée, on ne pourra plus aider personne. Le vampire s’accroche sur notre empathie sans qu’il en fasse preuve lui-même. C’est pour cela que, lorsque cela nous arrive, il faut s’interroger aussi sur soi. Pourquoi se laisse-t-on vampiriser ? Pourquoi tendre le bâton pour se faire battre ? Pourquoi va-t-on se perdre dans l’aide à autrui ? Cela peut arriver ponctuellement mais, lorsque c’est systématique, on doit s’interroger.

ELLE. Sinon ?

Stéphane Clerget. Sinon l’épuisement nous guette ! Le vampire psychique accapare non seulement l’attention de sa victime mais aussi toutes ses émotions. Cela crée une grande fatigue à la fois physique et psychique. Et bien souvent la victime se dit que c’est elle-même qui a un problème, qu’elle est nerveuse, irritable, bref, d’une nature fragile.

ELLE. Comment fabrique-t-on un vampire psychique ?

Stéphane Clerget. Il n’existe pas de trajectoire type. Assister en permanence son enfant, puis son adolescent, ne va pas favoriser son autonomie psychique. Un individu devient autonome psychiquement, quand le parent ne répond pas forcément à toutes les demandes de l’enfant, en l’encourageant à l’autonomisation, notamment par des activités sportives, par la sublimation intellectuelle. À l’inverse, un enfant trop carencé ne va pas forcément trouver en lui-même ou ailleurs les moyens de se nourrir. Le forcing à l’autonomie, ou une autonomisation trop précoce, peut le rendre totalement dépendant.

ELLE. Y a-t-il des contextes plus propices que d’autres ?

Stéphane Clerget. Le contexte familial peut être particulièrement délétère. En famille, on est pris par la culpabilité. On se sent obligé d’aider l’autre, qu’il soit notre enfant, notre frère, notre parent. C’est d’ailleurs assez paradoxal parce que si nos parents deviennent vampires, c’est qu’ils ne nous ont pas forcément donné grand-chose au départ. Ce ne sont pas les parents qui ont le plus donné qui vont réclamer le plus par la suite. Beaucoup de personnes sont prisonnières de ces parents qui ne leur ont rien donné. Elles sont dans l’attente permanente de recevoir enfin quelque chose, elles ont toujours cet espoir.

ELLE. Les vampires psychiques ne sont-ils pas avant tout des êtres en souffrance ?

Stéphane Clerget. Ils souffrent quand ils ne sont pas nourris. Mais c’est ce qui fait leur force. On sent en eux la fragilité et ça mobilise notre pitié, notre affection. Le piège est là. De l’autre côté, le vampire psychique, tout souffrant soit-il, tout dépendant soit-il, n’est jamais dans l’empathie. Tout simplement parce qu’il n’est pas apte à ça. Il est trop tourné vers lui-même. Il va nous aimer si on le nourrit. Et si on ne le nourrit plus, il va cesser de nous aimer et chercher ailleurs. C’est pour ça qu’on se dit souvent : « Quel ingrat, avec tout ce que j’ai fait pour lui ! » On attend du retour, mais il n’en est pas capable.

ELLE. Un vampire psychique peut-il guérir ?

Stéphane Clerget. Il faut qu’il éprouve un manque pour qu’il puisse éventuellement se mobiliser. Et il doit être accompagné pour apprendre à se ressourcer différemment. La meilleure aide, c’est de favoriser son autonomie énergétique, psychique et affective. En lui montrant que l’on peut trouver des ressources ailleurs que chez les autres.

Comment s’en préserver ?

Ne pas lui ouvrir la porte. « Un vampire ne peut entrer chez vous si vous ne l’avez pas invité. S’il vous vole cette énergie, c’est que vous le lui permettez, par naïveté, par peur, par désir de plaire, par besoin d’attention ou par culpabilité. »

Ne pas se laisser hypnotiser. « Il détourne votre attention en vous faisant vous concentrer sur vous-même. Il vous désoriente puis réduit vos repères et votre sens critique. Or, c’est la meilleure arme contre les vampires. »

Le dévoiler au grand jour. « Le repérer, le dénoncer auprès des collègues, amis, membres de la famille est primordial, même s’il nie, ce qui est souvent le cas. »

Ne pas le laisser vous toucher ou vous flatter. « Grâce au toucher, le vampire peut chercher à s’ancrer avec vous en créant un sentiment de protection et de proximité à votre égard. C’est l’une des techniques utilisées par les vampires pour attacher leur proie. On n’a pas besoin de cela lorsque l’on sait ce que l’on vaut. »

Se prémunir de la pitié. « Il faut cesser de trouver des excuses au vampire. »

Renforcer sa confiance en soi. « Cela passe par de multiples changements : cesser de survaloriser les autres et de se dévaloriser, se pardonner les erreurs passées, renoncer à la perfection à laquelle on préférera l’authenticité. »

* « Les Vampires Psychiques » (Éd. Fayard).

Cet article a été publié dans le magazine ELLE du 9 février 2018.  Abonnez-vous ici.

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