Santé

C’est mon histoire : « Ma bataille contre mon trouble borderline »

Un tsunami émotionnel

Julien et moi, on s’est rencontrés dans une maison de repos en Savoie, près de Courchevel. C’était en janvier 2022. J’avais 40 ans, lui 58. Je venais pour soigner mon trouble « borderline ». C’est un trouble de la personnalité, qui provoque chez moi une grande instabilité et une hypersensibilité, mes relations aux autres sont donc très compliquées. J’ai aussi l’angoisse d’être abandonnée par mon entourage, ceux que j’aime, un sentiment chronique de vide et d’ennui, la peur de me retrouver seule, confrontée à moi-même… La liste des symptômes est longue, 2 % de la population française en serait atteinte.

Mon trouble s’est développé à l’adolescence, mais le diagnostic a vraiment été posé à l’âge adulte. C’est Léo, mon ex-compagnon, médecin urgentiste, et un éminent professeur parisien qui ont su mettre un nom sur cette pathologie. Je pouvais enfin mieux comprendre ce qui me faisait souffrir depuis si longtemps, ce mal-être, ces émotions inappropriées et incontrôlables. Je vivais constamment au cœur d’un tsunami émotionnel mais au moins j’en connaissais un peu plus la cause. J’ai flashé sur Julien tout de suite. J’ai eu comme une révélation en le voyant la première fois dans cette maison de repos. Il était grand, beau, svelte, avec deux petites fossettes irrésistibles. Lui venait pour soigner ses troubles du sommeil. Il semblait très renfermé sur lui-même, parlait très peu. Je ne savais pas trop comment l’aborder, alors avec un culot que je ne me connaissais pas, je lui ai fait passer un petit mot via un patient de la clinique, dans lequel je lui proposais de faire une balade et lui donnais mon numéro de portable.

JE MOURAIS d’envie de l’embrasser

J’ai attendu longtemps son coup de fil, mais rien… Alors, n’y tenant plus, j’ai pris mon courage à deux mains et l’ai abordé frontalement une semaine après, à la clinique, lui avouant que le mot venait de moi. Bizarrement, il a eu l’air plutôt content, cela se voyait dans son regard. On a pris rendez-­vous, c’était le dimanche 4 mars. Je m’en souviens comme si c’était hier. Lui le grand sportif, moi la fumeuse de clopes. On a parlé de tout et de rien tout un après­-midi. Je mourais d’envie de l’embrasser, un besoin irrépressible de le serrer dans mes bras. À ce moment­-là, je me séparais de Léo, et Julien était en plein divorce. De retour à la clinique, nous avons échangé trois ou quatre textos, dont le dernier : « Tu n’es pas en manque de câlins, toi ? » Il m’a répondu un truc qui voulait dire : « Si. » Ni une ni deux, je me suis précipitée devant la porte de sa chambre, j’ai frappé et il m’est apparu encore plus beau que lors de notre première rencontre… On s’est embrassés, je le serrais fort dans mes bras… Depuis cet instant, nous sommes devenus inséparables. Au bout d’une semaine, nous déci­dions de vivre ensemble. Il m’avait demandé de le rejoindre à Toulouse, sa ville, là où vivaient ses (grands) enfants. J’étais surexcitée à cette idée. Entre­temps, je lui avais avoué que j’étais atteinte du trouble borderline. À mon arrivée à Toulouse, on s’est installés pendant un mois chez sa fille et son petit ami, faute de trouver rapidement un appartement. C’était un couple génial ! On a fini par dénicher notre petit nid d’amour à la fin du mois de juillet. Je travaillais comme vendeuse dans une pharmacie. De son côté, Julien s’était renseigné sur la pathologie dont je souffrais et il avait même participé à une réunion pour savoir comment vivre et gérer une borderline. Notre vie, malgré mes hauts et mes bas, s’écoulait comme un long fleuve tranquille.

PLUS QUE L’OMBRE de moi-même

Et puis, je ne sais pas ce qui s’est passé, j’avais tout pour être heureuse mais mes humeurs étaient instables, je passais de la joie à la tristesse en une seconde, mon regard devenait vide. Je restais assise sur le canapé, à boire café sur café, à fumer clope sur clope. Je n’avais aucune perspective et me sentais désespérée. J’effectuais des allers-­retours aux urgences psy­chiatriques tellement j’étais mal, déboussolée. En juin 2022, on m’a hospitalisée pendant trois semaines près de Toulouse à cause de mon addiction à la codéine. Eh oui, les médicaments m’aidaient à ne pas penser, à ne rien ressentir, à oublier, à me reposer. Je sollicitais énormément Julien. Il avait mis entre parenthèses son job de professeur d’histoire une année com­plète pour s’occuper de moi, je sentais bien que je l’épuisais. Il était très présent. Il organisait les visites des infirmiers chaque matin pour mon traitement de médicaments car il m’était devenu impossible de le suivre seule, j’en consommais trop. Je me rendais à l’hôpital deux à trois fois par semaine pour échanger avec des professionnels de santé qui me pro­posaient des activités adaptées à mon état dépressif et destinées à canaliser mes émotions, telles que la peinture, l’écriture ou l’art thérapie.

En parallèle, au mois de novembre 2022, j’ai trouvé un petit job à temps partiel, télé­ conseillère sur un plateau d’appels. J’adorais ce boulot, je m’y investissais réellement et certaines de mes collègues étaient devenues de vraies copines. Je ne sais toujours pas aujourd’hui pourquoi j’ai tout saboté. Mais, en mai dernier, ma santé s’est considérablement dégradée. Je pleurais sans cesse, je me laissais aller… Julien me disait : « Va te doucher, nom de Dieu ! » Je n’étais plus que l’ombre de moi­-même. Une abonnée de l’hôpital psychiatrique le week­end. Julien m’accompagnait, toujours là, à mes côtés. Mais l’ambiance devenait anxiogène. En juillet, mon grand sportif avait prévu de parcourir le GR10 dans les Pyrénées. Je le harcelais d’ap­pels téléphoniques et de dizaines de textos durant ces deux semaines, Julien ne supportait plus mes insatiables sollicita­tions. Il ne me supportait plus parce que j’étais dans le déni le plus complet. Et moi, je développais une dépendance affective grandissante. Fin juillet, il décidait de me quitter définitivement. Il n’en pouvait plus et était terriblement en colère… Je vivais un cauchemar. De crises de larmes en crises de larmes, mon monde s’écroulait.

 COMMENT AI-JE PU te perdre, Julien

 « Pourquoi t’avoir fait subir mes humeurs changeantes ? Pour­ quoi t’avoir tant sollicité ? Comment ai­-je pu te perdre, Julien ? » Je déteste mon trouble borderline, il a tout gâché… Ma vie n’est que remords et regrets. Je reste sur un goût d’inachevé. Mais j’apprends chaque jour un peu plus à surmonter son absence. La vraie solitude c’est cela : apprendre à s’estimer, avancer sans encouragements, sans autres applaudisse­ments que ceux que l’on s’accorde dans un silence effroyable. Je m’en veux encore de ne pas avoir été capable de prendre soin de lui et, dans mon for intérieur, je lui demande pardon. Je n’ai plus de nouvelles… Julien est parti écrire un autre cha­pitre de son existence et moi je chéris tout ce qu’il m’a apporté et le remercie d’avoir fait partie de ma vie. Parfois, je relis nos messages. Je suis suivie par une équipe de psychologues, de psychiatres, ma famille est présente aussi, heureusement. Ma vie se résume (comme dans le film avec Julia Roberts « Mange, prie, aime ») à : Je mange, je prie, j’… mais c’est toi, Julien, que j’aime encore. Tu m’as rendue meilleure, et je t’en serai toujours reconnaissante. Je suis extrêmement chanceuse d’avoir aimé et été aimée par un homme comme lui. J’ai beaucoup appris de cette relation et, aujourd’hui, je poursuis mon combat, jour après jour, je livre bataille contre moi­-même et ce foutu trouble qui envahit ma tête, mais je progresse dans ma relation avec les autres, je maintiens le cap. Et qui sait, peut­-être qu’un jour pas si lointain je serai capable d’aimer à nouveau.

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