Santé

C’est mon histoire : « Mon fils porte (enfin) mon nom »

PLUS QU’UN NOM, UNE IDENTITÉ

Bizarre, le nom de Paul était introuvable sur la liste des participants au spectacle de fin d’année. Inquiète qu’on ait pu l’oublier, je me suis empressée de le signaler aux animateurs du centre de loisirs lorsque l’un d’eux m’a invitée à regarder parmi les noms commençant par S. « Le petit s’est inscrit avec votre nom à vous, madame S. », m’a-t-il assuré. « C’était juste pour voir, me répond Paul quand je lui demande des explications. – Et alors ? Qu’est-ce que tu as vu ? – Bah, c’est chouette », a-t-il simplement lancé avant de repartir jouer. Sur le coup, je me suis juste dit que le sujet du nom devait le travailler, mais sans réagir plus que ça. Il n’avait que 10 ans, nous avions le temps d’en reparler. Mais, un mois plus tard, en plein été, un message de ma mère m’a fait penser le contraire. « La loi qui simplifie le changement de nom est enfin passée !, me textote-t-elle, à 8 heures du matin, sans un bonjour, comme si nous en avions parlé la veille. Les tribunaux seront moins engorgés. C’est peut-être le moment pour Paul, non ? »

Mon fils passait justement une partie des grandes vacances chez mes parents et j’étais supposée renouer avec l’insouciance d’une maman solo sans enfant. Le texto juridique au réveil m’a fait tout de suite redescendre sur terre. La dernière fois que nous avions évoqué ce changement de nom, c’était six ans plus tôt. Paul avait 4 ans, nous venions d’obtenir la déchéance de l’autorité parentale de son père. Ce dernier ne s’était pas intéressé à lui pendant plus de deux ans. Avant ça, il nous avait fait vivre un enfer. Il était violent, manipulateur, accro à l’alcool et aux anxiolytiques… C’était la pire personne que je connaissais. La plus douce pourtant au départ. Le divorce d’abord, puis l’exclusivité de l’autorité parentale ensuite m’avaient redonné du courage et toutes les armes pour protéger mon fils. Il restait cependant cette question du nom, en effet, ce patronyme qui me faisait peur et qui me broyait le cœur dès que je le voyais accolé au prénom de mon fils. Mais c’était celui auquel Paul était habitué, celui dont il écorchait si mignonnement les racines italiennes quand il le prononçait.

Je craignais que le moindre changement ne fasse vaciller notre harmonie

C’était son identité, et surtout une forme de stabilité dans le marasme que nous venions de traverser. J’imaginais qu’il verrait ça une fois adulte. Ce serait sa décision. Inconsciemment, il y avait aussi une forme de culpabilité de ma part. Pour certaines personnes de mon entourage, j’étais la méchante, celle qui destituait le père. C’était pourtant lui qui avait frappé, mis en danger, lui qui ne daignait plus voir son fils mais aux yeux d’autres, il était la vic- time, « le pauvre, il allait tout perdre… ». Alors je n’allais pas en plus effacer son nom. J’étais étonnée que ma mère remette subitement le sujet sur la table. Certes, elle voulait m’informer de cette nouvelle loi, mais je sentais qu’il y avait autre chose. Elle s’entendait à merveille avec Paul et il n’était pas rare qu’il se confie d’abord à elle sur les sujets sérieux. C’était sa façon de me protéger. Une question m’obsédait : et si mon fils était prêt à changer de nom ? La simple idée me mettait en panique. Après toutes ces années difficiles où il avait fallu se reconstruire, j’avais le sentiment que nous avions enfin trouvé notre équilibre, Paul et moi. Il était ce petit bonhomme de 10 ans épanoui et plein de vie. Il avait trouvé en mon père et en mon frère deux figures paternelles solides et sécurisantes. Il était aussi très à l’aise avec sa propre histoire. Lorsque ses camarades lui demandaient où était son papa, il répondait qu’il était « méchant » et que « c’était bien mieux de ne plus se voir ». Cela faisait huit ans qu’ils ne s’étaient pas croisés ! De façon assez irrationnelle, je craignais que le moindre changement ne fasse vaciller notre harmonie. Alors, je préférais ne rien toucher. Avoir affaire à la justice n’était pas anodin.

« MAMAN, JE PORTE LE NOM DE QUELQU’UN QUI NOUS A FAIT DU MAL »

Mais mon fils ne m’a pas laissée longtemps me compliquer la vie. C’est lui qui a abordé le sujet, à peine arrivé chez nous au retour des vacances. « Maman, je ne comprends pas. Papi, mamie, tonton et toi, vous avez tous le même nom. Je suis le seul à avoir un nom différent. Pourtant, on fait bien partie de la même famille ? On s’aime, pas vrai ? – Oui mon chéri. – En plus, je porte le nom de quelqu’un qui nous a fait du mal et qu’on ne voit plus depuis bientôt dix ans. Tu trouves ça normal toi ? – C’est vrai, ce n’est pas très logique. – Je veux porter ton nom, maman », a-t-il fini par m’avouer.

Cette phrase, c’est la plus belle qu’on m’ait jamais dite. Elle m’a transpercé le cœur. J’étais bouleversée. Non seulement elle voulait dire que mon gamin allait bien, qu’il avait fait le choix de l’avenir en se détachant de son lourd passé, mais en plus c’était une forme de gratitude à mon égard. En moins de temps qu’il ne fallait pour le faire, je me suis retrouvée devant une feuille avec mon plus beau stylo en train d’écrire à M. le garde des Sceaux. À trois ou quatre reprises, ma lettre a fini à la poubelle. Il s’agissait d’écrire l’histoire de Paul. À quoi bon la rédiger seule ? Un soir, on s’est assis tous les deux à la table de la cuisine et chacun s’est mis à raconter ce père toxique. On a écrit les coups, les crises, les larmes, l’abandon et les innombrables déceptions. On a écrit les années pour se réparer, le bonheur aujourd’hui retrouvé et ce nom qui hante comme un fantôme.

On a cherché nos mots, on a ri, pleuré, déchargé… Je crois que cette lettre nous a fait un bien fou. Avec l’en-tête du ministère de la Justice, nous avons tout de suite reconnu la lettre de retour. On était dans la rue, sur le trottoir. Je venais de récupérer le courrier. Paul a hurlé : « C’est ma lettre, elle est pour moi ! » Il a tenu à l’ouvrir et à la lire en premier. Je retenais ma respiration. D’un coup, il a bondi, son papier à la main, en criant : « C’est bon, maman, je vais m’appeler comme toi ! » On s’est pris dans les bras en tournoyant comme une toupie. Bon. Il avait oublié de lire la partie expliquant que le « décret de changement de nom » ne prendrait effet qu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la date de publication au Journal officiel.

FINI LE PATRONYME TRAUMATIQUE, VIVE LA LIBERTÉ !

Ça a été les deux mois les plus longs de mon existence. Je ne disais rien à mon fils mais je craignais que mon ex ou un membre de sa famille ne viennent à apprendre la nouvelle et s’y opposent. Heureusement, les deux mois se sont écoulés paisiblement, nous avons pu obtenir du Conseil d’État un certificat de non-opposition et demander au procureur de bien vouloir rectifier l’acte de naissance de Paul. 2024 a commencé fort. Après un an de procédure, ça y est, Paul porte enfin mon nom ! Et cette fois, je n’ai pas une once de culpabilité. J’ai la sensation que cette vilaine ombre qui nous poursuit depuis si longtemps s’estompe peu à peu. Paul n’a plus le poids de ce patronyme traumatique. Il est libre ! « Maintenant, je suis vraiment moi », me répète-t-il comme s’il vivait une renaissance. Il décline sa nouvelle identité à qui veut l’entendre en appuyant sur chaque syllabe. C’est beau à voir. La première chose qu’il ait faite ? Changer le nom sur tous ses livres et cahiers. Il a aussi écrit une carte postale à ses grands-parents avec une majestueuse signature – Paul S. – qui prend toute la place. Ça m’a fait sourire. « Bah quoi ? m’a-t-il dit, il faut bien les mettre au courant, eux aussi ! »

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