Santé

C’est mon histoire « Spécial été : nos voluptueuses vacances sans enfants »

Un désir ÉMOUSSÉ

Ces vacances, je les avais dans mon viseur depuis des années. Se retrouver en tête-à-tête avec Esteban, buller à notre guise, marcher, nager, faire l’amour pour célébrer la lumière estivale et changer les nuits en fêtes. Avec la naissance de Pablo, puis de Diego et Nina, nos jumeaux, ce genre de vacances n’a plus été qu’un lointain souvenir. Mais je savais que nous sortirions un jour des nuits entrecoupées de biberons et de cauchemars, des journées de surveillance constante de nos petits. Je rêvais d’apartés amoureux retrouvés, de flâneries insouciantes sans guetter du coin de l’œil notre progéniture, d’emploi du temps sans repas ni coucher à heure (à peu près) fixe, d’aventures où rien ne serait convenu à l’avance, de roucoulades à se bécoter et à se rappeler avec délice le début de notre  relation.

Esteban et moi, c’est un coup de foudre réciproque, mais inavoué. Des mois passés à se dévisager et s’envisager à l’université. J’avais tout de suite craqué pour ce bel Espagnol aux cheveux de jais et au regard de braise, mais, intimidée, j’avais pris la tangente au point qu’il m’avait crue totalement indifférente. Après quelques bredouillements d’explications, mon désir et nos premiers ébats frénétiques l’ont détrompé. Les enfants nés, Esteban et moi avons organisé quelques escapades à deux quand mes parents consentaient à garder notre marmaille pour un week-end, mais guère plus au vu de l’énergie requise – faire trois petits en deux ans a ses contraintes.

Les années ont filé, émoussant peu à peu mon appétit de vacances à deux. Être comme les cinq doigts de la main finalement me convenait. La vie de famille avec ses joies, ses chamailleries et sa fougue, c’était notre vie. Trois enfants, c’était trois fois plus de couleurs, trois fois plus d’envies, d’idées, d’inventivité dans le quotidien comme pendant les vacances. J’entraînais mon petit trio infernal, toujours enthousiaste, dans des grandes balades à cheval sur la plage, des via ferrata et du rafting. Ce genre de sensations, très peu pour Esteban. Mais maintenant que les obligations liées aux enfants se sont estompées et qu’ils sont devenus de super compagnons de jeux, les voilà qui s’éloignent. Cette année-là, notre Pablo tombe éperdument amoureux de Camille, avec qui il part, sans craindre les clichés, pour Venise. Invitée comme chaque été par des amies, Nina ne parvient plus à caser ses vieux parents dans son planning de vacances très surchargé. Diego, qui promet depuis des années de devenir le Tanguy de la famille, travaille pour mettre de l’argent de côté en vue de… son envol définitif hors du nid.

Nos galipettes SE FONT RARES

Le calcul est vite fait : 5 – 3 = 2 ! Retour à l’équation de départ : 1 + 1 = 2. Nous y voilà. Mais il faut bien avouer que le désir de tête-à-tête est moins pressant. Le désir tout court aussi. Esteban et moi avons ce genre de jobs qui débordent largement, au-delà des 35 heures, sur les soirées et les week-ends. Ne nous mentons pas : notre couple a pâti de cette vie familiale et professionnelle harassante. Lors de nos dîners à deux, la bande des trois et les soucis du travail prennent beaucoup de place dans nos conversations.  Nos galipettes se font rares.

L’amour est toujours de la partie, mais il fait moins pétiller nos yeux, moins vibrer nos corps. J’aborde donc nos premières vacances sans enfants avec une petite pointe d’inquiétude. Ennui à l’horizon ? Je ne dis rien à Esteban de mes appréhensions. Il se réjouit de voir nos enfants grandir, s’épanouir et partir sans nous. J’acquiesce vigoureusement, pas fière de mon ambivalence. Comme toujours, mon bel hidalgo me laisse carte blanche pour la destination, cette fois sans que les enfants s’en mêlent et imposent leurs desiderata de bords de mer bondés. Je rêve de fraîcheur estivale et de paix : Islande, Norvège ou Finlande… Esteban me ramène doucement sur Terre : notre budget non extensible, la planète en surchauffe… Donc ce sera la paix à l’écart d’un petit village de l’Aveyron aux maisons de pierres blanches, avec une rivière à portée de pieds pour se rafraîchir.

Depuis quand n’avons-nous pas FAIT L’AMOUR DEHORS ?

Les premiers jours passent dans un semi-coma : dormir, lire, manger, se balader dans un quasi-silence, dormir encore. Se reconnecter à soi avant tout. Je lâche difficilement mon smartphone, mes mails, les réseaux sociaux qui ne donnent guère de nouvelles des enfants. « Ils vont bien », tranche mon homme. Il lève la tête plus vite que moi de son téléphone pour regarder les merveilles qui nous environnent : un oiseau siffle sur une branche, la menthe sauvage exhale ses parfums, les figuiers nous tendent leurs fruits, une biche passe en fin de journée près de la maison. Peu portée sur la contemplation, je m’installe auprès d’Esteban sur la véranda où il voit sans être vu. Taiseux, il dégage une concentration qui n’a rien de commun avec celle, tendue, qu’il affiche une partie de l’année. Il a une longueur d’avance sur moi : il se tient de plain-pied dans notre coin de nature, il me montre la voie. Il décrypte des chants, des traces, des végétaux. Lors d’une  rando, il m’invite à l’observation d’un renard, tous les deux couchés à plat ventre dans la verdure. Passage furtif.

Regards échangés. Entre l’animal et nous. Entre Esteban et moi. Dans ses cheveux noirs, se sont glissés des fils couleur argent. Autour de ses yeux, les rides dessinent un soleil quand il rit. Il me plaît toujours autant qu’il y a vingt-cinq ans. J’écarte sa chemise pour un baiser sur sa peau salée. Ma langue glisse sur son torse, son nombril et fait son chemin, bien décidée à le trouver. Nos vêtements volent dans les herbes. Peu importe qu’elles piquent et qu’elles grattent, rien ne nous arrête. Les cigales ne couvrent pas nos gémissements. Depuis quand n’avons-nous pas fait l’amour dehors ? Depuis quand n’avons-nous pas joui avec cette intensité ?

À la fin des vacances, j’ai l’impression d’avoir dix ans de moins

Ce moment torride marque le vrai commencement de mes vacances et révèle notre complicité retrouvée. Comme à nos débuts, nos yeux se cherchent, nos corps se trouvent. Mais désormais, nous avons le temps pour nous. Pas l’urgence de notre jeunesse, ni celle d’aller s’occuper de nos enfants. Nous retenons le désir, jouons avec et, la peau écorchée par nos « retrouvailles », choisissons avec soin les lieux de nos jeux : sieste crapuleuse dans notre chambre aux persiennes tirées, galipettes sur le plaid apporté au bord de la rivière en fin de journée une fois les baigneurs partis…

Dans le temps délicieux de l’après-plaisir, nos confidences sur l’oreiller (ou pas) continuent à nous rapprocher. Surgissent nos désirs enfouis au fil des mois. Désirs érotiques l’un pour l’autre que ni Esteban ni moi, trop souvent accablés de fatigue, n’avons formulés : « Tu te souviens de cette soirée où tu portais ta petite robe noire… » Désirs aussi pour moi de reprendre l’écriture d’un roman laissé en rade faute de temps, et de reprendre la musique pour Esteban qui a laissé de côté, à regret, sa guitare. À la fin des vacances, j’ai l’impression d’avoir dix ans de moins, mais aussi dix ans de sagesse en plus. De retour à la maison, nous retrouvons nos soleils, nos tornades qui n’en finissent pas de raconter joyeusement leurs péripéties loin de nous. Déjà le travail nous avale tout crus. Mais Esteban et moi savons : il y aura d’autres vacances à deux. Et d’autres renards.

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