Rupture amicale et rupture sentimentale, existe-t-il une différence ?

« On se connaissait depuis l’école primaire, on était inséparables. Un jour après 20 ans d’amitié, elle ne m’a plus donné de nouvelles du jour au lendemain », confie Clara, la gorge encore nouée par ce chagrin d’amitié bien des années après. La trentenaire a multiplié les appels, sms et même tenté une explication en sonnant à la porte de son ex-amie : elle a été confrontée à un silence et elle n’a jamais su pourquoi leur amitié s’était terminée.

« Les ruptures d’amitié ne font pas partie de notre imaginaire », souligne Anne-Laure Buffet (1), thérapeute et auteure d’un livre sur l’amitié. « Contrairement à l’amour, en amitié, on se livre totalement, on ne préserve pas de mystère », ajoute la spécialiste. « La rupture peut être donc beaucoup plus douloureuse qu’une rupture amoureuse. C’est tout à fait normal de ressentir encore bien des années après cette tristesse », poursuit la thérapeute. Au-delà de la perte de l’amitié, Clara reste encore aujourd’hui dans l’incompréhension. Contrairement à une histoire amoureuse, un ami s’assoit rarement autour d’un café pour dire à l’autre que leur amitié est terminée : la fin d’une amitié est rarement verbalisée.

Un contexte malaisant 

Pourtant, « comme en amour, plein de situations peuvent conduire à rompre en amitié », explique Kelly Larranaga (2), psychopraticienne et thérapeute d’amis. « Certains liens peuvent s’effriter avec le temps, on peut ne plus être raccord ou aligné avec son ami », ajoute la thérapeute. « Dans l’amitié, il y a une notion d’acquis, comme une logique que ce lien soit pour toujours. » Un constat partagé par Anne-Laure Buffet : « On peut parfois se rendre compte que l’on est ami par habitude. Ou réaliser que l’on a évolué différemment, se sentir moins en connivence et se retrouver face à un ami qui fait des choix qui ne correspondent plus à nos valeurs. »

C’est ce qu’a vécu Juliette qui a rompu avec une de ses amies les plus proches. « Nous avions grandi dans la même ville, sans jamais vraiment nous fréquenter. À mon arrivée à Paris, nous nous sommes retrouvées par l’intermédiaire d’amis en commun. Pendant des années, nous avons eu une amitié quotidienne, très forte, où l’on pouvait tout se dire. J’ai été témoin à son mariage, ses enfants m’appelaient tata. » Mais le jour où son amie commence à tromper son conjoint et à sombrer dans le milieu de la nuit, Juliette n’a pas réussi à maintenir son amitié. « Elle me mettait en porte-à-faux vis-à-vis de son mari et je ne suis pas parvenue à dépasser cette situation qui était contraire à mes principes. »

Les deux amies se sont disputées violemment via messages mais Juliette n’a pas vraiment réussi à lui expliquer pourquoi elle voulait rompre leur amitié. « J’ai surtout compris ensuite ce qui m’avait dérangé. » Aujourd’hui, quatre ans plus tard, les deux ex-amies ne s’adressent plus la parole au point de même s’éviter dans leur quartier parisien. « Souvent un évènement marquant, une dispute ou une trahison peuvent faire exploser la relation de manière concrète et visible », analyse Kelly Larranaga.

Assumer comme en amour

Mais il n’y a pas toujours ce couperet marquant pour mettre fin à une amitié. « On ne se rend pas toujours compte que l’amitié est défaite. Mais lorsqu’on constate qu’on s’adresse plus à d’autres personnes, cela peut amener à réfléchir à la tournure de l’amitié et à sa fin », explique Anne-Laure Buffet. « L’éloignement par la pensée peut entraîner cette rupture : on n’est plus dans la même intimité, la même authenticité et ce n’est plus véritablement de l’amitié. »

Que faire alors quand on ressent que le lien n’est plus aussi fort ou bien que l’on n’a plus envie de partager autant avec l’autre ? « Il faut d’abord se parler à soi : pourquoi cette personne ne peut plus être mon amie ? Pourquoi cette place que je lui ai donnée, je la lui reprends ? On peut noter sur un papier tous ses sentiments pour élaborer une pensée entendable et pour donner un sens à la rupture », ajoute la thérapeute. « Il faudrait être capable d’avoir une discussion avec l’autre pour lui signifier la fin de cette amitié tout en le remerciant pour ce qu’il a apporté dans notre vie. »

Contrairement à une histoire d’amour, l’amitié a un cadre plus flou

Un avis partagé également par Kelly Larranaga : « L’idéal est de pouvoir verbaliser qu’on n’est plus sur la même longueur d’ondes et de pouvoir exprimer qu’on ne trouve plus ce dont a besoin dans cette amitié. » Contrairement à une histoire d’amour qui peut comporter un début et une fin, l’amitié a un cadre plus flou avec un lien qui se tisse au fur et à mesure. « Les termes sont moins posés qu’en amour », précise la thérapeute d’amis. C’est cette discussion qu’aurait aimée avoir Clara pour comprendre pourquoi son amie lui a tourné le dos. « Il y a forcément une explication et je ne cesse de me demander aujourd’hui ce que j’ai pu faire de si horrible pour ne même pas mériter de le savoir. »

Mais comme en amour, en amitié, il n’est pas impossible de se retrouver. Avec le temps, Clara et Juliette renoueront peut-être avec leurs anciennes amies. « L’amitié peut repartir bien sûr, si les amis acceptent les attentes et les besoins de l’un et de l’autre », souligne Kelly Larranaga. « Tout dépend si on est prêt à accueillir l’autre tel qu’il est », conclut la thérapeute. 

(1) Anne-Laure Buffet, thérapeute et auteure de L’amitié, 192 pages, Editions Eyrolles, 18€

(2) Kelly Larranaga propose des thérapies pour amis ( ici).