Santé

Ils ne dorment plus ensemble : le secret d’une libido brûlante ?

« Je me suis toujours dit qu’un couple marche mieux s’il ne dort pas dans le même lit, assure Lisa, 36 ans, artiste, en couple depuis trois ans et demi. J’ai le sommeil léger et les ronflements me réveillent. Alors quand on a eu un bébé et qu’on a déménagé à une heure de Paris, on a décidé d’un commun accord de faire chambre à part pour que notre sommeil soit plus réparateur puisque avec l’enfant, on est beaucoup plus fatigués. Bien sûr, il faut en avoir les moyens, notre maison est grande. Dans notre entourage, certains trouvent que c’est un truc de vieux, d’autres pensent que c’est le futur. C’est même tellement moderne pour eux qu’ils n’osent pas franchir le cap, mais en rêvent secrètement. » Pour vivre heureux, dormons séparés ? En France, si 8 % des couples seulement font chambre à part, selon une enquête Ifop/« Femme Actuelle » de 2015, outre-Manche, les adeptes du « sleep divorce » gagnent du terrain. Au Royaume-Uni, la proportion de couples ne faisant plus couette commune a ainsi doublé en dix ans, passant de 7 à 15 %. Les célébrités y apportent une touche glamour, tels Gwyneth Paltrow et son mari Brad Falchuk, ou la chanteuse anglaise Ellie Goulding et son époux Caspar Jopling.        

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« En consultation, j’observe que le sommeil est de plus en plus important, remarque Jessica Pirbay, sexothérapeute, autrice de “Puissante & orgasmique” (éd. Leduc). Les gens font vraiment attention à la qualité de leurs nuits car ils se rendent bien compte que cela influe sur leur productivité et sur leur humeur pendant la journée. Il y a aussi beaucoup de couples qui ne vivent pas ensemble. L’idée qu’il faut prendre soin, chacun, de son espace, et que ce n’est pas parce qu’on ne dort pas ensemble qu’on ne s’aime pas est de plus en plus assumée. » Loin des draps mais pas loin du cœur ? Selon le sociologue Jean-Claude Kaufmann, auteur de « Un lit pour deux. La tendre guerre » (éd. Lattès) et dont le récent ouvrage s’intitule « Ce qu’embrasser veut dire » (éd. Payot), ce choix s’inscrit dans un mouvement plus large d’affirmation de l’autonomie. « Nous rêvons de vivre à deux tout en restant soi et en exprimant notre bien-être personnel, nous explique-t-il. Pas question de mal dormir au nom de la symbolique du couple. Cela fait des années que de plus en plus de repas sont pris en solo dans le couple (60 % des petits déjeuners) ou que des loisirs séparés se développent. Cela ne pose pas le moindre problème tant que dans l’autre temps de la vie, quand on mange ensemble ou que l’on a des loisirs en commun, on est vraiment impliqué, présent à l’autre. Le lit du sommeil est la dernière activité à entrer dans le mouvement, car jusqu’à maintenant il était plus facile de dire que l’on vivait dans deux logements séparés ou que l’on partait en vacances en solo. C’est justement ce qui est en train de changer en ce moment, avec certains jeunes couples qui affirment leur choix. » Laura, 30 ans, chargée de communication, et Rodrigo, 32 ans, programmateur radio, sont ensemble depuis cinq ans et n’habitent pas ensemble. Ils font des travaux de réhabilitation d’une petite maison, mais, dans leurs plans, ils auront chacun leur chambre. « On adore dormir ensemble, mais on veut avoir le choix, explique Laura. Ne pas se sentir obligé d’aller se coucher avec l’autre, si on envie de lire, par exemple. Les moments ensemble n’en seront que meilleurs, je crois. Lui, il aime bien se réveiller la nuit pour jouer à la console ou bosser. Mais ce n’est pas ça qui nous motive à dormir dans des chambres séparées : on veut surtout préserver notre intimité individuelle et commune, et éviter la lassitude. »                

Les générations précédentes assument davantage d’en parler que par le passé, même si le regard social n’est pas toujours tendre à l’égard des « sleep divorcés », trop souvent assimilés à des couples en panne de vie sexuelle. « J’ai vu un commentaire sur Instagram qui disait que les enfants de ces couples allaient être déséquilibrés, car ils n’auront jamais vu leur père et leur mère dormir dans le même lit », s’insurge Mélanie, 56 ans, productrice de podcasts, mariée depuis vingt ans. « Pourtant, mes parents faisaient lit à part pour des raisons de confort et c’était un couple très fusionnel », ajoute-t-elle. Pour le sien, tout s’est joué au troisième jour de leur coup de foudre mutuel. « On s’est rencontrés dans une soirée, raconte-t-elle. Le premier soir, il était chez moi. Le deuxième, j’étais chez lui.    

« Si on ne peut pas compter sur le câlin du soir, il faut être créatifs sexuellement »            

Le troisième soir, j’ai eu envie de le tuer car il ronflait : impossible de dormir. Du coup, quand on s’est installés ensemble, on a fait lit à part, puis chambre à part lorsque mon fils est parti de la maison. Les dix premières années étaient pleines d’atouts : si on ne peut pas compter sur le câlin du soir pour se rapprocher, il faut être très créatifs sexuellement. Mais au bout de dix ans, on en a marre. J’avoue regretter parfois de ne pas m’endormir dans les bras de mon mec. » Et puis il y a ceux qui, effectivement, renoncent à coucher ensemble, dans les deux sens du terme. Ainsi Marina, 63 ans, employée à la CGT, en couple depuis vingt-cinq ans. Si elle a d’abord fait chambre à part pour ne plus subir les ronflements trop sonores de son époux, le lit à l’autre bout de l’appartement a été l’occasion de mettre fin à leur vie sexuelle. « On ne ressent plus du tout le besoin de se rapprocher, même si on est proches par la parole, on a arrêté complètement de faire l’amour, on s’embrasse juste pour se souhaiter bonne année. Mais je le vis plutôt bien, car c’est un amour-amitié. C’est moi qui ai décidé cette situation, et je n’en souffre pas. »                                            

Derrière la tendance du sleep divorce, on pourra ainsi entendre une nouvelle manière pour les femmes de définir la notion de consentement. « C’est très net pour certaines, qui subissent un harcèlement discret et sournois dans le lit conjugal, affirme Jean-Claude Kaufmann. Je ne compte plus les témoignages sur la main du mari qui s’approche au cœur de la nuit. Avec les chambres séparées, les deux partenaires doivent clairement exprimer leur désir et leur consentement. Ceci dit, pour la majorité des personnes, le bien-être personnel et la qualité du sommeil sont vraiment les facteurs dominants. » Échapper à la pression implicite du câlin « obligatoire » ou, a contrario à l’idée déprimante que l’on n’a pas une vie sexuelle assez remplie, conscientiser son désir, pourrait faire partie des avantages collatéraux de cette nouvelle pratique conjugale. Pour Philippe, 70 ans, ancien chef d’un service anesthésie à l’hôpital, marié depuis trente-deux ans, le fait de faire chambre à part « pourrait être pris pour une prise de distance ou de la négligence. Au contraire, cela a apporté de l’apaisement dans notre relation, enlevé beaucoup de tensions, et l’un et l’autre n’avons plus l’impression de subir les injonctions ou les attentes de l’autre concernant la sexualité ». Lisa, quant à elle, « ne trouve pas excitant de dormir avec la même personne tous les soirs. Je pense que le désir se place ailleurs. Avec le sleep divorce, qui ne fonctionne que si tu en as parlé avec ton partenaire, on peut créer des espaces pour faire l’amour. Ça ne tue pas le désir, loin de là ».               

Le « chacun son lit », une alternative à la routine boulot-enfants-charge mentale-dodo ? Pour la sexothérapeute Jessica Pirbay, confrontée souvent au manque de désir chez les couples, même jeunes, qu’elle reçoit en consultation, la pratique est à double tranchant. « C’est quitte ou double, affirme-t-elle. Elle peut signifier un affaiblissement du lien comme elle peut aider à prendre soin de sa vie sexuelle et de sa relation en refusant de l’empoisonner avec la routine. Pour certains, c’est très positif, ça peut remettre de la séduction dans leur couple, ce qui est plus fructueux que d’abîmer la relation avec des tensions et des reproches dus au manque de sommeil. » Car la fatigue, sujet éminemment contemporain, est au cœur des problématiques du couple moderne, surstimulé en permanence par le smartphone ou l’ordinateur, ou englué dans le ronron hypnotique du quotidien. « Il y a des couples qui s’en sortent très bien avec la routine, explique la sexothérapeute, mais d’autres qui en paient le prix. Ils se laissent aller, il n’y a plus de séduction, plus de jeu, ils préfèrent se mettre devant une série Netflix que de faire l’amour. Chez ces couples, la routine commence dès le début de soirée, lorsqu’ils se retrouvent. Pour en sortir, il faut prendre conscience que le désir n’est pas spontané et qu’il s’entretient. Si, grâce au sleep divorce, on prend soin de son sommeil – ce qui a forcément un impact sur sa sexualité –, je trouve ça plutôt sain. » Chambres à part, mais corps bouillants pour rapprochement imminent.

                                                                                        

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